Levés avant le jour (1948), histoire d’un film mémoriel et militant
André Marty et les Brigades internationales
Levés avant le jour (1948)
Histoire d’un film mémoriel et militant
Texte d'Edouard Sill
Après la Libération, André Marty s’est particulièrement investi dans l’AVER, l’association des vétérans français des Brigades internationales. Pour populariser son action et favoriser l’émergence de la question des vétérans d’Espagne dans l’opinion publique, l’AVER porta un projet ambitieux en 1948 : la réalisation d’un moyen métrage à vocation de grande diffusion intitulé Levés avant le Jour. Le film fut réalisé par l'assemblage de plusieurs extraits de films pro-républicains produits entre 1937 et 1939, montés par Marinette Cadix (monteuse, entre autre, des films de Renoir) sur une musique originale de Jean Wiener. Deux vétérans furent mis en avant dans la distribution : Bob Mathieu, comme lecteur d’un texte du journaliste André Wurmser, et Gabriel Verliat, comme directeur de production.
Le titre évoque explicitement l’intention du film, procédé téléologique assumé. Il fut probablement inspiré par le roman quasi autobiographique de Simone Téry, envoyée spéciale de plusieurs journaux communistes durant la guerre civile espagnole, intitulé Où l’aube se lève lors de sa première version parue à New York en 1945. Les papiers personnels d’André Marty confirment que ce dernier avait lu cet ouvrage, qui lui déplut, avant 1947. Artur London reprendra plus tard le titre pour la seconde version espagnole (Se levantaron antes del Alba, 1978) de son livre originellement intitulé Espagne, Espagne.
Les archives d’André Marty conservent un ensemble documentaire conséquent sur la préparation du film, son accompagnement et ses attendus. Il s’agit tout d’abord d’un assortiment de matériaux rassemblés pour l’élaboration du film et d’un synopsis préparatoire qui restitue une vision très instructive du projet à son état d’ébauche. Cet ensemble est complété par le script exact du film, établi en mars 1949, probablement dans sa version définitive. Le second corpus correspond à un protocole militant à destination des organisateurs des projections. On y retrouve les consignes édictées par André Marty pour l’organisation des projections et leur accompagnement politique.
Un film support d’une campagne militante
Le film a été imaginé et produit pour accompagner la grande campagne de l’AVER pour la reconnaissance par l’Assemblée nationale du statut d’anciens combattants « morts pour la France » aux vétérans d’Espagne. André Marty avait en effet déposé le 11 mars 1946 une proposition de loi dans ce sens, repoussée par les députés. L’AVER s’appuyait sur le fait que les républiques populaires de l’Est avaient adopté cette disposition, suivis par l’Italie en mars 1948. Les bénéfices obtenus par son exploitation commerciale devaient être reversés aux vétérans mutilés ou malades et aux orphelins de « ses combattants morts pour la liberté, morts pour la France ».
L’accompagnement politique de sa diffusion
Production militante, Levés avant le jour fut accompagné d’un document interne adressé aux secrétaires de section de l’AVER, un protocole de mise en scène de la projection. Les projections furent en effet déterminées selon un protocole rigide, et la salle organisée selon un cérémoniel étudié. André Marty exigea qu’on fasse siéger un bureau composés de représentants d’organisations proches du Parti Communiste et deux artifices de légitimité : des élus, des anciens combattants des deux guerres mondiales qui devaient être interpellés par la salle après la projection. La promotion de la campagne était également assurée par la diffusion de la brochure d’André Marty éditée par l’AVER en 1946 : Ceux d’Espagne ! Les premiers contre les hordes hitlériennes. Justice pour leurs blessés, pour leurs orphelins !.
Le film devait être introduit par un exposé oral relativement long, dont le texte fut rédigé par André Marty. On y retrouve les antiennes développées par le film, c’est-à-dire le discours officiel du parti communiste sur la guerre d’Espagne jusqu’en 1975 : « Cette guerre n’était pas une guerre civile, ni une révolution sociale, mais le début de la guerre mondiale 1939-1945 déclenchée par l’impérialisme fasciste allemand et italien pour s’assurer la domination de l’Espagne, et visant en premier lieu à encercler la France ». Par cette démonstration, les spectateurs étaient prévenus de la démarche des promoteurs du film.
Les procédés discursifs
Le moyen-métrage Levés avant le Jour replaçait ainsi intentionnellement et téléologiquement les Brigades internationales à l’aune de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance. Ainsi, le film commence par juin 40 pour faire ensuite une ellipse vers l’Espagne et les Brigades internationales, qui précède une seconde ellipse vers la libération de Paris à la fin du film. Les Brigades internationales n’étaient plus les héritières d’un phénomène internationaliste ou transnational mais les précurseurs des résistances armées nationales face au nazisme. Ainsi, les vétérans d’Espagne furent assimilés aux résistants, le plus souvent par suggestion : « La résistance est née à Madrid » ou encore « Car tous furent des premiers combattants de la clandestinité […] Ne sont-ils pas en vérité les premiers et les plus fermes résistants ? Ne sont-ils pas ceux qui se sont « levés avant le jour » ? ». On y retrouve d’ailleurs l’affirmation, démontrée fausse par Claude Pennetier et Jean Pierre Besse, d’un appel à la Résistance armée par Thorez et Duclos dès le 10 juillet 1940.
Dans la continuité de la traduction communiste des évènements espagnols, la guerre civile est pratiquement niée dans le film, remplacée par la démonstration d’une agression allemande préméditée contre l’Espagne « point le plus faible pour encercler la France ». Franco est à peine évoqué dans le film. L’aube qui se lève à la conclusion du film est incarnée par la prise de Berlin par les Soviétiques en 1945.
Les Brigades internationales sont présentées comme une émanation spontanée des peuples du monde et les communistes ne sont pas évoqués en tant que tels, quoique omniprésents par le biais des figures invoquées. André Marty est ainsi particulièrement célébré, comme figure paternelle et héroïque (« premier arrivé, dernier à partir ») dans un réemploi du culte de la personnalité développé autour de lui dès 1938.
La comparaison du film avec les différents projets et ébauches conservées dans les archives Marty nous permet d’évaluer les lignes suivies par les réalisateurs et l’attention portée au choix des images, des textes, de la musique et leur conjugaison ; l’omniprésence subliminale des chants fut ainsi déterminée très en amont dans la conception.
Quarante-huit ans d’attente
Diffusé pour la première fois à Paris au début de l’automne 1948, Levés avant le jour eut cependant une carrière très limitée. Le Centre de Diffusion du Film refusa de délivrer un visa d’exploitation commercial, limitant par conséquent les projections à des évènements privés. Des diffusions furent organisées régulièrement en région parisienne jusqu’en 1950 mais ne connut aucun succès en province (seulement cinq projections hors de Paris en deux ans). Du fait de la place centrale donnée à André Marty, le film ne put être exploité après son expulsion du PCF puis de l’AVER en 1952.
En 1996, « l’amendement Malraux » reconnaissait en France aux vétérans d’Espagne le statut d’anciens combattants, sur des considérations similaires à celles développées dans Levés avant le jour quarante-huit ans plus tôt.
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