Le retour des Brigades
André Marty et les Brigades internationales
Le départ d'Espagne des combattants des Brigades internationales
Texte de Geneviève Dreyfus-Armand
Les volontaires étrangers engagés en Espagne aux côtés des républicains ont quitté l’Espagne massivement à la fin de l’année 1938 et au début de l’année 1939. Ce sont les combattants engagés dans les Brigades internationales. Déjà, au cours des années précédentes, des volontaires venus apporter leur aide à la République espagnole étaient repartis dans leurs pays d’origine, souvent pour cause de blessures, comme la philosophe Simone Weil venue sur le front d’Aragon rejoindre les anarchistes du Groupe international de la colonne Durruti. Bien qu’il soit difficile de donner des chiffres précis, nombre de brigadistes français ont également déjà repassé la frontière en septembre 1938, dont les multiples blessés et mutilés. Sans compter les milliers de volontaires tués en Espagne.
La décision de retrait des volontaires étrangers
L’été 1938, à Londres, le Comité international pour la non-intervention préconise le retrait des étrangers engagés en Espagne dans les deux camps. L’Allemagne nazie et l’Italie fasciste conseillent à Franco d’accepter ce principe mais d’en différer l’application. Mais, afin d’obtenir le retrait des soutiens étrangers des franquistes et surtout de se concilier la France et le Royaume-Uni pour obtenir d’éventuels financements, le chef du gouvernement républicain, Juan Negrín annonce le 21 septembre 1938 à la tribune de la Société des nations (SDN) le départ immédiat de tous les combattants non espagnols présents dans les rangs gouvernementaux.
Cette décision intervient alors même que la bataille fait rage encore dans le delta de l’Èbre ; le dernier engagement de la XVe Brigade internationale intervient le 22 septembre. Il est vrai, qu’à cette date, les effectifs des Brigades avaient beaucoup diminué du fait des nombreux morts, disparus ou blessés.
Plusieurs hommages aux volontaires étrangers sont organisés par le gouvernement républicain espagnol au cours du mois d’octobre 1938, immortalisés par les photos de Robert Capa, d’Agustí Centelles, de Luis Torrents ou des frères Mayo. En présence du président Manuel Azaña, de Juan Negrín, du président de la Généralité de Catalogne Lluis Companys, du général Rojo et de nombreux autres dirigeants républicains, une émouvante cérémonie se déroule le 28 à Barcelone pour saluer les combattants étrangers et célébrer leur action héroïque et solidaire.
Le discours de Dolores Ibarruri, la Pasionaria, dirigeante du Parti communiste espagnol, est devenu mythique ; s’adressant aux volontaires en partance, elle déclare : « Vous pouvez partir fièrement. Vous êtes l’histoire. Vous êtes la légende. Vous êtes l’exemple héroïque de la solidarité et de l’universalité démocratiques. Nous ne vous oublierons pas… ». Toute une population acclame ceux qui sont venus aider à défendre la République.
Terre d’asile dans les années 1920 et pendant la brève parenthèse du Front populaire (juin 1936 – avril 1938), la France est, depuis mai 1938, un pays qui s’est fermé aux étrangers et doté d’un dispositif législatif sévère afin de les surveiller et de les réprimer. Le 2 mai 1938, un décret prévoit l’assignation à résidence des « étrangers indésirables » qui ne trouvent pas de pays pour les accueillir. Cette mesure est jugée insuffisante et, quelques mois plus tard, le 12 novembre 1938, un décret prévoit l’internement des mêmes « étrangers indésirables » dans des « centres spéciaux », où ils feront l’objet d’une surveillance permanente. C’est sur la base de cette dernière disposition que 250 000 républicains espagnols, venus chercher refuge en France pour sauver leur vie et leur liberté, seront internés à la mi-février 1939 dans des camps appelés alors « camps de concentration » par l’administration, comme pendant la Première Guerre mondiale.
Comme rien n’a été prévu pour un nombre même moindre de réfugiés, des camps sont aménagés à la hâte sur les plages du Roussillon, à Argelès-sur-Mer et Saint-Cyprien, puis au Barcarès, dans le département des Pyrénées-Orientales, et, ensuite, dans d’autres départements : Agde dans l’Hérault, Bram dans l’Aude, Septfonds dans le Tarn-et-Garonne ou le Vernet dans l’Ariège, pour ne citer que les principaux.
Les « Internationaux », mêlés aux réfugiés espagnols, connaissent les mêmes humiliations au passage de la frontière et le même internement dans ces espaces vides, entourés de barbelés, et sévèrement gardés par diverses formations militaires, gendarmes, gardes mobiles ou troupes coloniales. Ils sont conduits, sous bonne escorte, vers les plages d’Argelès-sur-Mer ou de Saint-Cyprien où, dans un premier temps, les baraques n’existent pas et où aucune installation sanitaire n’est mise en place. Or, l’hiver, sur ces plages battues par les vents, est rude. Les premiers camps vite surpeuplés, d’autres ouvrent, notamment à Gurs, dans le département appelé alors Basses-Pyrénées, aujourd’hui Pyrénées-Atlantiques.
Les « Internationaux », venus d’Argelès et de Saint-Cyprien, entrent dans le camp de Gurs à partir du 20 avril 1939, et les transferts continuent en mai. 6 808 volontaires sont ainsi internés dans les îlots G, H, I et J. Ils sont quelque 5 500 le 10 mai et 6 000 le 10 juin. Après les camps du Roussillon, où l’on dormait dans des trous creusés dans le sable, enveloppés comme on pouvait dans ses habits et parfois dans une couverture, jusqu’à ce que les internés construisent des abris de fortune puis des baraques, Gurs apparaît plus hospitalier. Des baraques ont été édifiées en quarante-deux jours ; les internés ont un toit et un plancher pour les protéger des intempéries. Si elles existent, les installations restent sommaires et la place manque. L’ingéniosité des internés permettra cependant d’améliorer un peu les conditions de vie.
Les « Internationaux » constituent, jusqu’à leur départ, le groupe le plus nombreux du camp de Gurs, aux côtés des réfugiés basques ou espagnols et des « aviateurs », membres des forces aériennes de la République vaincue. Ils proviennent d’une soixantaine de pays, surtout européens, mais également latino-américains, africains ou asiatiques. Les contingents les plus nombreux sont polonais, italiens, allemands, tchécoslovaques, autrichiens, yougoslaves, portugais, hongrois, roumains, bulgares et baltes. Les apatrides sont des Juifs allemands, autrichiens ou tchèques, déchus de leur nationalité.
Dans le camp de Gurs, les anciens volontaires d’Espagne constituent un groupe à part, structuré et actif. Afin de combattre la démoralisation née de la défaite et de l’exode comme l’angoisse du lendemain, ils organisent, avec les maigres moyens dont ils disposent, des activités culturelles et sportives : travaux manuels ou artistiques, cours ou conférences, musique et culture physique. Comme le font également les républicains espagnols dispersés, dans les nombreux camps français.
Sous le régime de Vichy, nombre d’anciens volontaires des Brigades internationales seront internés dans le camp disciplinaire du Vernet d’Ariège. Pour leur participation aux protestations dans ce camp en février 1941, certains seront transférés dans le camp de Djelfa, dans le Sud algérien, situé sur des hauts-plateaux à 300 km d’Alger, au régime encore plus sévère.
Les modalités du départ et l’arrivée en France
Le retrait des brigadistes du front s’effectue sous le contrôle d’une Commission militaire internationale mandatée par la SDN. Les volontaires valides retirés du front le 25 septembre sont rassemblés à Calella, en Catalogne, où les émissaires de la SDN effectuent les contrôles. Des passeports collectifs sont délivrés et visés par le consulat français. Un certain nombre obtiennent la nationalité espagnole et peuvent rester dans l’Armée populaire de la République.
Après la cérémonie du 28 octobre, des trains spéciaux acheminent les volontaires survivants vers la frontière française. Le dispositif militaire et policier mis en place effectue des contrôles afin d’arrêter les insoumis et les étrangers ne pouvant regagner leur pays. Le gouvernement français ne veut pas laisser entrer sur son territoire les anciens brigadistes qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine : Allemands, Italiens, Polonais, Hongrois, notamment, ressortissants de pays dirigés par des régimes fascistes ou autoritaires. Quelque 5 000 à 6 000 réfugiés politiques, bloqués à la frontière, reforment une petite division internationale. Restés en Catalogne, ils couvriront le grand exode de janvier-février 1939, la Retirada, qui verra près d’un demi-million de personnes – civils et militaires – chercher refuge en France lors de l’arrivée des troupes franquistes dans la région.
Quant aux volontaires français, ceux qui n’ont pas répondu aux appels de période militaire sont arrêtés. Les jeunes partis en Espagne avant d’accomplir leur service militaire sont passibles du conseil de guerre. Cependant, grâce à l’intervention du lieutenant-colonel Henri Morel, attaché militaire auprès de l’ambassade de France à Madrid, et excellent observateur du conflit en cours, qui est admiratif du courage des républicains – même s’il ne partage pas leurs options idéologiques – les réservistes rappelés au moment de la mobilisation ayant précédée les accords de Munich de la fin septembre 1938 ne seront pas inquiétés.
Pour le convoi qui arrive le 12 novembre 1938 en gare d’Austerlitz, à Paris, l’accueil est chaleureux. À l’appel des partis de gauche et des syndicats, en présence de diverses personnalités et d’une foule nombreuse, les Brigadistes qui arrivent sont accueillis avec enthousiasme. Un défilé aboutit à la fédération des Métaux, dans le 11e arrondissement. D’autres accueils de ce type auront lieu, en mode mineur, dans d’autres régions. Mais les journaux d’extrême droite ne cachent pas leur haine envers les volontaires. De toute manière, même chez les sympathisants, l’état d’esprit n’est plus le même qu’en 1936.