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André Marty et les trois vies de l'AVER

André Marty et les Brigades internationales

André Marty et les trois vies de l'AVER

Texte d'Edouard Sill

 

L’Amicale des Anciens Volontaires en Espagne Républicaine (AVER) est une association politique, caritative et mémorielle, créée par le PCF en 1937 pour rassembler les vétérans français et immigrés de France des Brigades internationales, subvenir aux familles des disparus, aux besoins des blessés et des mutilés et maintenir vivante la communauté des anciens combattants d’Espagne. André Marty fut son président de sa création à son éviction en 1952, qui suivit son excommunication du PCF. Durant quinze ans, André Marty a fait de l’AVER la légataire des Brigades internationales et l’a engagé dans trois registres d’actions indélébiles dont ses archives ont gardé traces : politique, humanitaire et mémoriel.

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Une ambiguïté existe sur la date de naissance de l’AVER. C’est 1938 qui, encore aujourd’hui, est considérée comme l’année de référence. Cependant, l’Amicale des Anciens Volontaires en Espagne Républicaine a été fondée un an plus tôt, le 30 juin 1937, à la Mutualité à Paris, à l’initiative de quelques vétérans blessés français. L’AVER était alors une nouvelle émanation de la formidable galaxie mondiale de comités mis en place par les réseaux communistes autour de la solidarité avec l’Espagne républicaine. André Heussler et Philippe Rebière furent nommés au bureau provisoire et la trentaine de convives désignèrent « par acclamations » leur président, André Marty. L’amicale prit son siège rue de Lancry à Paris dans le Xème, arrondissement ô combien associé à la solidarité avec l’Espagne républicaine, et annonça son lancement dans la presse des Brigades internationales en août 1937. Mais les retours autorisés de volontaires sont alors encore peu nombreux, quelques blessés et mutilés qui ont eu la chance d’être évacués. Les autres, plusieurs centaines de déserteurs, n’ont naturellement aucune envie de se manifester.

Il fallut attendre un an, soit le « Congrès des Volontaires de l’Espagne Républicaine » en juillet 1938, pour que l’AVER aboutisse sur un projet solide. Ce congrès marque en effet une époque nouvelle : le vétéran d’Espagne remplace le volontaire, des centaines de vétérans et blessés sont revenus. L’AVER doit, selon les mots d’André Marty, « rattraper tous nos gars » et fonder une communauté fraternelle, celles des anciens d’Espagne, en perpétuant « cette époque historique de l’Internationalisme des peuples ».

Le second lancement fut cependant un échec : mis à part la fédération parisienne, les effectifs sont bien en deçà des attentes : seulement 700 membres sur les 4 500 vétérans estimés en France (dont 2 000 Français en juillet 1938). L’association essaie d’attirer les déserteurs, « ceux qui se cachent et ne croient pas être de bons éléments pour continuer la lutte parce que discrédités par leur geste » mais cette mansuétude candide n’est pas plus couronnée de succès. Cet échec relatif n’empêche pas les autorités françaises de s’inquiéter de cette « formation paramilitaire en liaison avec les réservistes de l’armée française ».

L’AVER est une organisation de masse communisante, chargée de maintenir la mobilisation des vétérans et de diffuser les mots d’ordre du PCF à propos de l’Espagne par la mobilisation des esprits. En novembre 1938 revenaient les derniers vétérans français démobilisés d’Espagne. L’AVER fut cette fois au rendez-vous. André Marty fut chargé par le Komintern de la mise en valeur de la génération Espagne. Il prépara en conséquence la rédaction d’une vaste histoire des Brigades internationales et d’une collection de petits récits édifiants destinés à accompagner l’action de mobilisation des vétérans dans tous les pays. L’AVER s’emploie à imposer un discours unique à propos des évènements espagnols : l’Espagne a été agressée par « le fascisme cosmopolite international » pour mieux attaquer la France. Les sociaux-démocrates ont refusé la main tendue des communistes et ont abandonnés les Républicains, seules les Brigades internationales ont relevé l’honneur. Lors du second congrès de l’AVER en 1939, André Marty haranguait les vétérans en ces termes : « Vous avez le droit de dire quand il y a des gens qui bavardent dans les meetings : où étais-tu pendant la bataille du Jarama, qu’est-ce que vous faisiez pendant les mois qui ont suivi ? ». En octobre 1939 devait avoir lieu une grande cérémonie pour le troisième anniversaire des Brigades internationales. Ces différents projets furent subitement annulés du fait de la signature du pacte germano-soviétique qui entraina, en septembre, la mise hors la loi du PCF.

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L’AVER reçut en 1939 un autre rôle, absolument imprévu, qui mobilisa énormément ses effectifs et moyens. Après la chute de la poche de Catalogne et la Retirada en février 1939, environ 6 000 étrangers demeurés en Espagne (dont 5 000 des Brigades internationales) faute d’un État acceptant de les accueillir, se retrouvent internés en France dans des camps séparés des Espagnols. L’AVER se dote d’une délégation à Perpignan où s’installe André Marty, accompagné d’Yvonne Robert, sa principale collaboratrice en Espagne et après. L’AVER publie dès février un organe de liaison dans les camps d’internement Le trait d'union. Bulletin intérieur des Camps des volontaires internationaux, véritable fil de vie pour les vétérans internés qui y retrouvaient des informations pratiques et juridiques. L’AVER participe à l’accompagnement des grands blessés soignés à l’hôpital d’Eaubonne (elle y financera en 1956 la construction d’une stèle funéraire) et à l’organisation d’une journée nationale du blessé et du mutilé en avril 1939. Elle ne cessera d’agir en faveur des mutilés, des orphelins et des familles des vétérans, organisant des collectes pour les appareils de prothèse, des visites dans les sanatoriums et distribuant des subsides aux indigents. En 1946, l’AVER publie une brochure rédigée par André Marty : Ceux d’Espagne ! Les premiers contre les hordes hitlériennes. Justice pour leurs blessés, pour leurs orphelins ! destinée à populariser son action et ses revendications.

Cette campagne fut appuyée, entre 1948 et 1950, par la production d’un film supervisé par André Marty : Levés avant le jour. On ne peut passer sous silence les index distribués alors par l’AVER, gardienne vigilante d’une mémoire stalinienne, dont Hemingway fit les frais en 1946 lors de la publication en langue française de son « livre immonde », en substance le roman Pour qui sonne le glas ?, dans lequel Marty s’était reconnu sans peine. L’AVER participe également à la légitimation des procès staliniens, se félicitant de l’exécution du « traître » Laszlo Rajk en 1949 et osant un parallèle avec la « lutte acharnée des Brigades internationales contre les espions et les saboteurs », prêtant ainsi le flanc aux accusations de ses détracteurs pour longtemps.

En septembre 1952 eut lieu le « procès de Moscou à Paris », selon les mots de Charles Tillon, soit l’affaire Marty-Tillon, qui voit ces deux cadres communistes dénoncés et excommuniés du PCF. Cette chute brutale d’André Marty, inouïe pour les militants et l’intéressé lui-même, vient clore quinze ans d’oppositions politiques et personnelles avec Maurice Thorez. Le 8ème congrès de l’AVER, en 1953, signe l’acte final de l’effondrement d’André Marty. Les orateurs se succèdent pour dénoncer leur ancien président par des interventions vides de contenu. Jean Chaintron est élu président de l’Amicale et déclare alors : « En nous débarrassant de Marty, nous nous sommes non seulement débarrassé d’un agent de l’ennemi, mais nous nous sommes débarrassés de l’étroitesse et du sectarisme qu’il faisait régner ». Chaintron sera lui-même exclu en 1962. Il entreprendra immédiatement d’animer un groupe pour la réhabilitation d’André Marty, et cent militants communistes signeront cet appel.

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L’AVER après Marty

L’AVER soutient ensuite les combats pour les libertés, en Espagne d’abord où elle prend fait et cause pour les condamnés politiques du franquisme, mais également à propos de l’Algérie ou du Viêt-Nam. Jusque dans les années 90, l’association continue inlassablement son travail auprès des vétérans et de leurs ascendants, en éditant un bulletin de liaison. Elle a une action transnationale en relation étroite avec ses homologues d’Europe de l’Est et participe aux nombreuses commémorations en Hongrie, Pologne, RDA et Tchécoslovaquie.  

 

ÉPOPÉE d' Espagne : Brigades Internationales 1936-1939 : recueil de récits vécus et de documents historiques

L’AVER publie en 1957 le premier livre sur les Brigades internationales produit en France, intitulé Épopée d’Espagne, qui connut deux éditions, perpétuant ainsi le projet initié par André Marty en 1939. Dix ans plus tard, l’AVER participe au grand projet éditorial collectif autour des Brigades internationales, décidé lors des commémorations de 1966 à Berlin Est. Ce projet éditorial transnational déboucha sur une édition en cinq langues, parue en 1972 en URSS et en 1974 en France : La solidarité des peuples avec l’Espagne républicaine, véritable histoire officielle communiste des Brigades internationales.