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Les camps d'internement

André Marty et les Brigades internationales

Les Brigades internationales internées en France

Texte d'Edouard Sill

 

En septembre 1938, le gouvernement républicain espagnol décida, avec l'accord de Staline, du retrait unilatéral des combattants étrangers engagés dans ses armées. La SDN mit en place un dispositif d'évacuation dont les postulats ne furent pas respectés par certains pays concernés, dont en premier lieu la France. Près de 12 500 étrangers furent démobilisés et installés dans des camps provisoires en Catalogne, les trois quarts étant issus des Brigades internationales. En janvier 1939, la moitié attendait encore une destination vers un pays d’accueil. Ils échouèrent pour la plupart sur les plages du Roussillon, avec 500 000 Espagnols en déroute. Environ 6 000 « Internationaux », essentiellement des Allemands, Autrichiens, Italiens, Balkaniques, Baltes, Polonais et Tchécoslovaques furent internés dans les camps en France.

Les règles de la commission de non-intervention prévoyaient que les combattants retirés d’Espagne seraient dirigés vers le pays dont ils étaient ressortissants, sauf ceux dont le retour signifiait potentiellement des persécutions à leur encontre. Ils devaient alors être envoyés dans un pays qui leur donnerait la garantie de ne pas les poursuivre. La commission de la SDN n’avait donc pas envisagé, ou avait refusé d’envisager, la situation de la grande majorité des volontaires des Brigades internationales, venus des immigrations. Seuls la Belgique et le Royaume-Uni acceptèrent le retour des immigrés résidant légalement sur leur territoire avant leur départ, puis, avec certaines restrictions, les États-Unis et enfin la France avec davantage de difficultés encore. Allemands, Autrichiens, Italiens et Tchécoslovaques étaient dans une situation insoluble, au même titre que les Bulgares et Polonais qui avaient été déchus de leur nationalité à cause de leur engagement en Espagne.

Un rapport d’Alexander Orlov, envoyé spécial du NKVD à Valence, avait alerté dès l’été 1937 sur la situation juridique dramatique de certains ressortissants, sans qu’aucune disposition ne soit prise par le Komintern. En décembre 1938, un vaste projet d’évacuation des étrangers sans pays d’accueil fut élaboré entre le PCE et les représentants du Komintern dont André Marty et le président mexicain Cardenas. Deux convois avaient été préparés. Mais en janvier 1939, les forces hispano-italiennes déclenchèrent la grande offensive visant à faire sauter le réduit catalan. Un groupe de combat informel fut constitué sur la base des étrangers des camps de démobilisation, qui prit la forme de trois pseudo-brigades internationales. Pris dans la déroute, les Internationaux passèrent la frontière française le 7 février, avec l’armée de Catalogne défaite. Les convois vers le Mexique avaient naturellement été annulés et ne furent jamais réétudiés, bien qu’espérés longtemps encore.

La masse des Internationaux se retrouva coincée par la solution transitoire mais durable adoptée par le gouvernement français : l’internement administratif des étrangers revenus d’Espagne dans des camps de fortune. Les non-Espagnols furent regroupés tout d’abord dans les camps d’Argelès et de Saint-Cyprien, simples carrés de barbelés sur les plages où ils demeurèrent plusieurs semaines. En avril 1939, ils furent déplacés vers le camp de Gurs (Pyrénées Atlantiques) et répartis par nationalité. Le 6 mai 1939, la police opéra une rafle parmi les vétérans étrangers en convalescence près de Paris et ils furent eux aussi envoyés à Gurs. Trois autres camps concentrèrent des Internationaux : la forteresse de Collioure (Pyrénées Orientales) accueillit ceux considérés comme dangereux, le camp du Vernet (Ariège) les disciplinaires, et le Rieucros (Lozère) les femmes, soit environ 120 internées. Seul un tiers d’entre eux avait été libérés en septembre 1939. En juin 1940, les 4 000 derniers Internationaux quittaient Gurs pour le camp du Vernet où ils rejoignirent la masse des « étrangers indésirables », internés administrativement par la France. Un an plus tard, la plupart y demeuraient encore, dans l’espérance d’être accueillis dans un pays neutre ou en URSS. Les germaniques furent pour la plupart envoyés au camp de Djelfa en Algérie. André Marty a conservé dans ses archives le texte d’une chanson écrite par ses derniers en 1943. Entre-temps, la signature du Pacte germano-soviétique, le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale puis l’interdiction du PCF scellèrent irrémédiablement leur sort. Leur abandon ne fut pas le fait du Komintern et de ses sections nationales, mais celui d’une décision de Staline, dont les intérêts géopolitiques étaient alors à l’exact opposé de ceux de 1936.

Camps Camps

À Gurs, les Internationaux occupaient quatre îlots, divisés ensuite en sous-camps et séparés des Espagnols (des Basques et des aviateurs républicains). Chaque îlot était cloturé par des barbelés et surveillés par des soldats. Les archives d’André Marty concernant les camps d’internements possèdent quelques pièces précieuses, en l’occurrence des documents statistiques dénombrant précisément les vétérans internés sur plusieurs dates, d’autant plus utiles que la documentation administrative du camp de Gurs a été brulée en 1940, avant l’arrivée des troupes allemandes. Après la rafle de mai, on comptait 6 230 Internationaux, dont environ 1 200 vétérans extérieurs aux Brigades internationales, dont André Marty refusa de s’occuper. En juin 1939, les effectifs rassemblaient 950 Polonais, 872 Italiens, 736 Allemands, 483 Autrichiens, 493 Tchécoslovaques (et 107 Allemands des Sudètes), 372 Yougoslaves, 332 Portugais et une cinquantaine d’autres nationalités dont de nombreux sud-américains.

Le 27 août 1938, lorsque le Komintern accéda à la demande du gouvernement républicain espagnol de démobiliser les Brigades internationales et de faire sortir d’Espagne les soldats étrangers, André Marty et le Comité Central du Parti Communiste d’Espagne furent chargés de « la conduite organisée de l’évacuation et du reclassement à venir des volontaires». Les modalités furent discutées par le comité exécutif, suivant les instructions de Staline et Voroshilov. Marty fut renvoyé en Espagne, le 2 septembre 1938, pour la mise en œuvre effective du retrait, de la sélection et de l’extraction de certains cadres, destinés à être envoyés ou renvoyés en URSS. Le politburo du Komintern chargea les partis communistes européens et américains de trouver une destination pour les autres volontaires, sans proposer de solution d’accueil.

Presqu’aucune évacuation sanitaire de vétérans vers l’URSS n’eut lieu durant la guerre d’Espagne. Dans les camps, après l’abandon de l’espoir d’un exil mexicain, la pression était pourtant forte sur les partis communistes à ce sujet. Le politburo du VKP(b), le parti communiste soviétique, autorisa le 14 février 1939 l’évacuation vers l’URSS d’une liste de 300 cadres du Komintern, bientôt réduite à 247. Ce très faible quota ouvrit la voie à une concurrence féroce entre les différentes sections nationales du Komintern, pour faire inscrire leurs propres cadres et volontaires, méritants ou prometteurs, blessés ou non. Seuls 147 de la liste initiale furent envoyés en URSS, les 100 autres venant d’une liste constituée par André Marty, selon ses critères : d’abord les grands blessés, puis les éléments les plus exceptionnels. En avril 1939, l’URSS avait accueilli seulement 200 vétérans grands mutilés (et 500 familles ibériques). En définitive, l’URSS prit en charge moins de 500 Internationaux, soit environ un dixième des internés. Seule la moitié des 466 survivants des 589 officiers et cadres étrangers partis d’URSS pour l’Espagne fut autorisée à revenir, malgré l’insistance de Dimitrov ; ses nombreuses demandes, y compris à propos de personnels de l’IC, restèrent lettres mortes.

Le PCF se retrouva chargé de « solder les comptes » des Brigades internationales et de trouver une solution pour les vétérans internés en France, une activité ni anticipée ni même envisageable pour un parti politique et à rebours des attentions de l’opinion publique. Il fallut donc improviser, sans moyens et en urgence, un dispositif humanitaire et logistique, c’est-à-dire s’occuper des questions sanitaires, du tri et du suivi des bagages, de l’accompagnement des démarches administratives, de l’organisation de la correspondance, de la mise en place d’un service juridique, de l'obtention des cartes de travail, de la lutte contre les rumeurs, de la réorganisation de sections communistes de dizaines de nationalités dans les camps, mais également et surtout, du maintien de l’espoir et du soutien au moral des internés. La galaxie des organisations de masse et des comités ad hoc mis en place durant la guerre d’Espagne et le Secours Populaire Français et des Colonies furent naturellement mobilisés. Les contacts entre le PCF et les camps passèrent par deux réseaux, d’une part celui de l’AVER, et d’autre part une équipe installée à Perpignan qui travailla directement avec André Marty, composée notamment de Louis Champion « Charles » et Yvonne Robert. Ils assuraient la visite régulière de tous les camps, servaient d’agents de liaison avec les cadres supérieurs enfermés à Collioure ou au Vernet (Luigi Longo, Franz Dahlem, etc.) et étaient chargés de la rédaction du journal de liaison du PCF dans les camps : Trait d’Union.

Aperçu de l'image ou de la série d'imagesDe par son mandat reçu en août 1938 par le Komintern, André Marty préconisait devant la Chambre des Députés un plan de liquidation rapide des camps en permettant le retour dans leur pays de tous les volontaires qui le pouvaient, les autres devant être dispersés entre différents pays démocratiques. Une brochure intitulée Une solution humaine et française, comment en finir avec les camps de républicains espagnols, discours des 15-16 juillet 1939, reprenant le texte de son intervention et ses propositions, fut éditée sous sa signature par le PCF. Il s’agissait de faire admettre par la France la différence de statut juridique entre les Espagnols et les Internationaux. Ces derniers devaient être présentés comme des civils, et non comme des militaires d'un pays tiers, entrés en France par un cas de force majeur. André Marty avait obtenu l’accord de principe du Ministre des Affaires Étrangères, Georges Bonnet, pour que les Italiens soient dirigés vers la Tunisie et que soient délivrées aux Tchécoslovaques des cartes de travail en France. Les immigrés qui résidaient en France avant leur départ ou ayant servi dans  l’Armée française devaient être libérés, en échange d’un engagement pour la durée de la guerre, au cas où la France serait attaquée.

Le Komintern organisa, entre mars et août 1939, une grande campagne de sensibilisation, dont la Conférence internationale d’aide aux réfugiés espagnols en juillet 1939, qui paracheva celle organisée par le PCF en juin. Tout dépendait en fait des pressions réalisées en France par le PCF. Les résultats furent bien chiches. La tentative d’interpellation du gouvernement par le groupe communiste à la Chambre, le 17 mars 1939, à propos des Internationaux internés, fut un fiasco. Le sujet avait été totalement détourné de son propos par une offensive habile des députés d’extrême-droite. Ils parvinrent à détourner le débat vers un long réquisitoire contre André Marty, qui requit une défense difficile assurée par l’intéressé lui-même. Cette occasion manquée passée, un espoir demeura néanmoins dans l’adoption du décret concernant la mobilisation des étrangers en cas de guerre.

L’annonce du pacte de non-agression, signé le 23 août 1939 entre l’URSS et l’Allemagne nazie, provoqua une véritable stupéfaction à Gurs et une grande confusion, quoique la discipline de parti s’imposa. Dès lors, la situation des vétérans internés, déjà précaire, devint sans espoir. Le PCF fut interdit un mois plus tard, et les relais entre le camp et l’extérieur sévèrement entravés. Après la signature du pacte, les propositions de Marty prirent l’exact contre-pied des positions tenues précédemment. Le gouvernement était accusé de forcer les Internationaux à s’enrôler dans la Légion Étrangère. En effet, le refus de l’armée française d’intégrer des étrangers volontaires pour la durée de la guerre s’était assoupli, fin septembre 1939, avec la création de trois Régiments de Marche de Volontaires Étrangers (RMVE), rattachés à la Légion étrangère. Mais le réengagement ne rencontra cette fois aucun enthousiasme, du fait de l’interdiction formelle du Komintern donnée aux militants communistes. Le sondage effectué par le commandement militaire français de Gurs auprès des internés, deux jours après la déclaration de guerre, est éloquent : la moitié des Internationaux refusèrent de reprendre les armes. Au printemps 1940, la fameuse vague d’engagement des étrangers ne concerna pas beaucoup de vétérans des Brigades internationales, et seul un nombre négligeable d’entre eux intégra les Compagnies de Travailleurs Étrangers (CTE) et leurs héritières vichystes (GTE).

De février à mai 1939, seuls 2 374 vétérans des Brigades internationales avaient réussi à s’extirper de l’internement. Les autres sombrèrent dans la nuit de l’Occupation. Les alertes reçues par le Komintern concernant l’arrestation de vétérans italiens et allemands demeurèrent vaines, aucun sauvetage ne fut organisé, y compris pour ceux qui avaient la nationalité soviétique. Néanmoins, une part importante des internés rejoignit les rangs de la Résistance, à partir de l’automne 1941.

 

Bibliographie complémentaire

BADIA (Gilbert) (dir.), Les barbelés de l'exil. Études sur l’émigration allemande et autrichienne (1938-1940), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1979. 443 pages.

BALÀZS (Ester), « Les volontaires hongrois des Brigades internationales dans les camps d’internement français de 1939 à 1940 » in Arkheia. Revue d’Histoire. Histoire, Mémoire du 20e siècle n°4, 4e trimestre 2000, pp. 44 - 58.

KOESTLER (Arthur), La lie de la terre, Paris, Calmann-Lévy, 2013 [1941]. 302 pages.

LAHARIE (Claude), Le Camp de Gurs : 1939-1945 : un aspect méconnu de l’histoire de Vichy. Pau, J & D, 1993  (2ème édition). 397 pages.

 

LEDERMAN (David), Les Polonais de la Brigade internationale Dabrowski internés en France et en Afrique du Nord, destins et itinéraires, 1940-1945. Mémoire de Maitrise sous la direction de M. Antoine Prost et Mme Céline Gervais soutenu en 1999 à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne UFR d’Histoire. 226 pages (Disponible à bibliothèque du CHS)

PESCHANSKI (Denis), La France des camps. L’internement 1938-1946. Paris, Éditions Gallimard, 2002. 456 pages.