Les Brigades internationales
André Marty et les Brigades internationales
Les Brigades internationales : une manifestation exceptionnelle du phénomène de volontariat transnational durant la guerre civile espagnole
Texte d'Edouard Sill
Les brigades internationales étaient des formations militaires de l’armée républicaine espagnole composées à l’origine exclusivement de soldats de nationalité étrangère. Elles ont été créées en octobre 1936 comme unités régulières, dites brigades mixtes, qui sont l'unité de base de l’armée républicaine, grossièrement équivalente à un régiment. Elles étaient composées de trois à sept bataillons suivant les périodes. Neuf brigades mixtes ont été considérées comme internationales, avec un maximum de sept déployées en même temps. Les Brigades internationales désignent l’ensemble réunissant ces brigades, leur direction-dépôt d’Albacete, ainsi que huit groupes d’artillerie, le Service Sanitaire International et des dizaines d’unités plus petites, de services et délégations. Il s’agit d’un véritable corps d’armée et un organisme politico-militaire presque indépendant jusqu’à l’automne 1937. En septembre 1937, les Brigades internationales furent reconnues officiellement par le gouvernement républicain et reçurent un statut de légion étrangère. Elles avaient été réorganisées sur cinq brigades et baptisées : XIème brigade internationale Thaelmann dite germanique, XIIème Garibaldi dite italienne, XIIIème Dombrowski dite polonaise, XIVème La Marseillaise dite Francobelge et la XVème Lincoln dite anglosaxonne. Après la création de la 129ème internationale en février 1938, elles furent dissoutes en septembre 1938, le gouvernement républicain ayant décidé de procéder au retrait unilatéral des combattants étrangers de son armée.
Si le sujet est connu et désormais bien documenté, il semble cependant indispensable de présenter succinctement cet objet singulier dans son enveloppe, soit la formidable remue d’hommes qui dirigea vers l’Espagne plusieurs dizaines de milliers d’étrangers venus volontairement participer à la victoire du camp dont ils partageaient le sens du combat.
La guerre d’Espagne constitue un conflit archétypal des tensions des années trente, et symptomatique de la violence politique qui lie les deux conflits mondiaux. Elle fut en cela marquée par un immense mouvement de solidarité à travers le monde, dont une des spécificités fut le choix de l’engagement combattant. Dès le mois de juillet 1936, un mouvement immédiat et spontané conduisit des milliers d’Espagnols immigrés de France et de Belgique, dont certains naturalisés, à rejoindre l’Espagne en lutte. Sur place, les colonies étrangères de Madrid, et surtout de Barcelone, s’engagent également dans les combats. Il s’agit majoritairement de Sud-Américains à Madrid et d’antifascistes italiens et allemands en exil à Barcelone. Au Pays Basque, la proximité des combats avec la frontière favorise l’arrivée de volontaires belges, français et surtout des militants communistes étrangers de France de la MOI (Main d’œuvre Immigrée), qui se joignent aux milices antifascistes basques. En face, des catholiques français et belges rejoignent pour leur part les milices carlistes de Navarre (catholiques traditionalistes). En Catalogne, la sédition fut rapidement vaincue à Barcelone et le front s’est fixé en Aragon, devant les capitales régionales de Saragosse et de Huesca. La plupart des colonnes catalanes de la CNT-FAI (anarchosyndicasliste), du PSUC (communiste) et du POUM (communiste non stalinien) comprenaient une formation internationale, régulièrement rejointe par des volontaires étrangers, souvent des militants révolutionnaires, accueillis à Barcelone par les organisations susdites. Dans la colonne anarchosyndicaliste Ascaso qui assiège Huesca, des anarchistes italiens s’allient avec le mouvement antifasciste italien Justice et Liberté et mettent sur pied une formation italienne conséquente.
À Madrid, des Cubains s’organisèrent dans diverses unités, et deux petites formations internationales venues de Barcelone (les centuries Commune de Paris et Gastone Sozzi) rejoignirent la capitale en danger. En octobre 1936, le Komintern mit en application sa décision, prise le mois précédent, d’autoriser et d’alimenter la formation d’une colonne internationale prise en charge par le PCF. Installée à Albacete, où se trouvait l’escadrille España de Malraux, la colonne devient une puis deux brigades dites « internationales », les XIème et XIIème. Les volontaires furent rapidement dirigés par un collectif transnational de cadres communistes chapeauté par le député français et secrétaire du Komintern, André Marty. Les communistes furent immédiatement très majoritaires et les Français formèrent le plus gros contingent.
Le projet a rencontré un succès inattendu : des milliers de volontaires presque entièrement venus de France et de Belgique arrivèrent dans l’enthousiasme. Trois autres brigades furent créées pour les accueillir. En décembre, le Komintern plaçait le projet dans une perspective mondiale et les partis communistes de Grande Bretagne, de Tchécoslovaquie, d’Amérique du Nord et d’une dizaine d’autres pays furent enjoints à identifier les postulants au volontariat et à les acheminer en Espagne via la France. Le phénomène jusque-là principalement concentré sur la France et son immigration, la Belgique et la Suisse, fut porté artificiellement à une échelle mondiale et massive.
Jusqu’au printemps 1937, les formations internationales préexistantes se renforcèrent du fait de l’arrivée de milliers d’étrangers transitant pour la plupart via Barcelone. De nouvelles formations militaires internationales virent le jour mais le phénomène fut concentré essentiellement dans les Brigades internationales, pour des raisons essentiellement structurelles, avant que ces dernières n’obtiennent finalement le monopole du volontariat international en juin 1937. La dernière formation de combat internationale non rattachée à la Base d’Albacete disparait en juillet 1937. À partir de cette date, le phénomène se résume à une seule de ses formes organisées du côté républicain. En février 1937, la non-intervention imposa la fermeture de la frontière aux volontaires étrangers, portant un coup fatal au phénomène qui s’essouffle progressivement.
Du côté des forces rebelles, le catholicisme et l’anticommunisme ont également provoqué des solidarités transnationales qui se manifestèrent durant l’année 1937. Mis à part la tentative de constitution d’une brigade catholique irlandaise, qui doit être replacée dans le contexte historique des liens anciens entre l’Irlande et l’Espagne catholiques, les autres tentatives firent long feu. L’armée rebelle avait en effet conservé le réceptacle traditionnel du volontariat étranger : la Légion étrangère, appelée Tercio. C’est vers cette dernière que furent dirigés, souvent contre leur gré, les milliers de volontaires internationaux qui rejoignirent les rebelles espagnols. Pour la plupart Français, Belges, Russes et Portugais, ils n’ont cependant jamais bénéficié d’un agent facilitateur extérieur, comme le furent les partis communistes du côté républicain, ni d’une véritable dynamique comparable à la force de suggestion de l’internationalisme antifasciste. L’armée rebelle était, de plus, largement soutenue par deux corps expéditionnaires réguliers étrangers, italien et allemand.
Plus de 40 000 étrangers combattirent en Espagne du côté républicain, dont environ 35 000 dans les Brigades internationales. Le dispositif mondial de facilitation des départs de volontaires mis en place par le Komintern a été entièrement dessiné à destination des Brigades internationales. Six pays couvrent plus des deux tiers (68%) du total des volontaires recensés par les Brigades internationales, soit dans un ordre décroissant : France, États-Unis, Belgique, Tchécoslovaquie, Canada et Suisse. Au minimum, la part des volontaires venus de France (Français et immigrés) approche de la moitié du total officiel (44%), et plus de la moitié (52%) avec la Belgique. Les immigrations constituèrent près de la moitié des effectifs du volontariat international combattant en Espagne républicaine.
Figure 1 : Proportions des groupes nationaux dans les arrivées totales et selon quatre périodes (figure extraite de la thèse d’Édouard Sill. Tous droits réservés)
Les Brigades internationales ne peuvent se résumer à une simple contribution militaire de la solidarité internationale, du fait des ambitions politiques qui ont présidé à leur constitution et à leur hétéronomie. Il s’agit indubitablement d’un objet transnational hors du commun qui rompt largement avec les manifestations du volontariat combattant international antifasciste qui l’ont précédé, tant par l’amplitude des effectifs réunis, que par sa structuration et par sa subordination à un agent extérieur à l’Espagne. Il faut donc interroger distinctement leurs liens avec l’étranger, avec le Komintern et ses périphéries et avec l’État soviétique qui déployait parallèlement en Espagne une projection militaire d’une tout autre nature. En effet, l’URSS accéda à la demande de l’Espagne républicaine de lui vendre du matériel de guerre, en contrevenant au traité de non-intervention. Ce matériel moderne, principal facteur de la résistance républicaine, fut initialement livré avec du personnel soviétique tandis que des spécialistes espagnols étaient formés.
Avant d’être un agent militaire, les Brigades internationales ont été envisagées comme un outil de propagande et comme support de la tactique d’unité d’action induite dans la ligne du front populaire telle que définie par le Komintern en 1935. Ce fait a intégralement contraint leur forme, structuration et discours. Il s’agissait de faire des Brigades internationales une structure parrainée par les organisations membres des fronts populaires (et des tentatives similaires) à travers le monde, de fédérer les dispositifs et initiatives de la solidarité internationale et surtout d’associer les Internationales socialiste (IOS) et syndicale (FSI), ou a minima de leurs affiliés, dans une union d’unité d’action avec le Komintern. Une fois que le projet unitaire eut définitivement échoué fin 1937, il dut évoluer.
Les Brigades internationales ont connu en 1937 une phase de formidable accroissement tout en subissant une série de facteurs affectant profondément leur composition, fonctionnement et leur nature même de formations internationales. Ces facteurs, pour la plupart disruptifs et déceptifs, ont atteint l’ensemble des manifestations du volontariat armé, marqué par des désertions importantes et le départ de nombreux étrangers. Néanmoins, le Komintern procéda à l’automne 1937 à un second recrutement de volontaires. Cependant, l’appareil mondial de recrutement mis en place était désormais largement défaillant du fait des opérations de police ayant démantelé la plupart des filières. La montée des tensions à partir de février 1938 paralysa le transit, l’Anschluss mit un terme définitif à cette filière vitale au mois de mars. Tchécoslovaques, Polonais Yougoslaves, Autrichiens, Hongrois et Roumains étaient à présent bloqués. Désormais particulièrement sollicitées, les filières canadiennes et américaines ne disposaient plus, quant à elles, des fonds nécessaires pour faire traverser l’Atlantique aux postulants.
La seconde et dernière année de la courte existence des Brigades internationales se distingue absolument de l’année précédente. L’automne 1937 constitue le point de bascule remarquable entre deux périodes et entre deux projets différents dans leur nature et les objectifs poursuivis. Cette rupture fut provoquée par l’action conjuguée de différents facteurs dépendant de la géopolitique mondiale et par un changement stratégique radical opéré par le Komintern et décidé par Staline en septembre 1937. Le principal changement fut la suppression de la direction communiste transnationale des Brigades internationales et le rattachement sous la tutelle du PCE qui, jusqu’alors, n’avait été qu’un partenaire tout à fait extérieur au projet. De ce fait, les Brigades internationales furent soumises, de l’automne 1937 au printemps 1938, à un profond aggiornamento et à une pénétration complète des directives communistes espagnoles. De plus, les volontaires étrangers arrivant durant cette période ont été intégrés dans un dispositif désormais institutionnalisé, comme soldats étrangers d’une armée régulière, disposant en cela des mêmes astreintes que les soldats espagnols. La dernière période des Brigades internationales, de mars à septembre 1938, ne concerne que 3% des arrivées totales de volontaires.
Un tiers des volontaires internationaux est probablement mort en Espagne, un autre tiers, le plus important, fut rapatrié ou porté déserteur avant septembre 1938. Le dernier ensemble le plus réduit rassemble les vétérans démobilisés en septembre 1938, ou échangés lors de transactions de prisonniers sous l’égide de la Croix Rouge. On ignore encore le sort exact de plus de la moitié des volontaires et les parcours de la plupart d’entre eux. Sur ce point précis comme sur de nombreux autres, la recherche historique sur les Brigades internationales, et plus largement sur les différentes manifestations du phénomène de volontariat international durant la guerre d’Espagne, demeure un chantier loin d’être terminé. L’actualité douloureuse du phénomène contemporain et ses différentes manifestations depuis 1939, héroïques et tragiques, généreuses ou mortifères, devraient nous obliger à le repenser dans un temps long, et à l’interroger à l’aune de ses manifestations précédentes des XIXème et XVIIIème siècles.