Aragon contre Hemingway
André Marty et les Brigades internationales
Aragon contre Hemingway
Texte de Françoise Blum
On trouve également dans le fonds Marty des documents relatifs à une « affaire » qui agita tant l’AVER que la VALB. Irving Fajans, secrétaire exécutif de la VALB, après avoir édité un reprint du Volunteer, l’organe de la brigade, avait entrepris de composer une anthologie sur l’Espagne. Parmi ses textes devait figurer un extrait d’Hemingway. Fajans se heurta alors à une véritable levée de boucliers.
D’une part Aragon, à qui il avait également demandé l’autorisation d’inclure dans le volume le poème « Santa Espina »(qui avait été publié dans le Crève-Cœur en avril 1941) refusa de « cohabiter » avec Hemingway. Les explications de Fajans n’y firent rien, même quand celui-ci fit remarquer qu’avaient été exclus du volume tous les textes écrits par des « anti-rouges » tels Malraux, Koestler ou Dos Passos, et qu’il s’agissait de présenter un front uni. Fajans fut mis en minorité au sein même de la VALB, du fait des pressions du parti communiste américain. Il en démissionna alors. Il se signala ensuite par une brillante carrière de documentariste. On lui doit notamment le film devenu célèbre Salt of the earth.
Que reprochaient donc Marty, Aragon, l’AVER et le parti communiste américain à Hemingway, qui avait, on le sait, pris parti pour la République espagnole et avait tiré de son séjour de reporter en Espagne un roman mondialement connu : For Whom the Bell Tolls ( Pour qui sonne le Glas), publié en 1940 ? On lui reprochait d’avoir dit du mal de Dolorès Ibarruri et d’André Marty. En fait, dans Pour qui sonne le glas, la Passionaria n’est pas vraiment malmenée et les quelques allusions à celle-ci qui y sont faites n’ont pu susciter une telle hargne contre Hemingway. En revanche, Marty, présenté sous le pseudonyme transparent de Massart, n’est pas épargné.
Citons quelques lignes d’une description effectivement peu tendre :
« Le vieil homme, grand et lourd, regarda Gomez en tendant le cou et le considéra avec attention, de ses yeux aqueux. Même ici, au front, à la lumière d’une ampoule électrique nue, et alors qu’il venait de faire une course en auto découverte dans le froid de la nuit, son visage gris avait un air de décrépitude. Son visage avait l’air d’être modelé dans ces débris qu’on trouve sous les pattes des très vieux lions.
…Qu’est-ce qu’il a ? demanda Gomez à l’un des gardes.
Esta loco, dit le garde, il est fou.
Non. C’est un personnage politique très important, dit Gomez. Il est commissaire des Brigades internationales.
A pesar de eso, esta loco, dit le caporal. Tout de même il est fou…. »
Fou, et gravement paranoïaque d’après le récit d’Hemingway.
Il y avait là de quoi ne pas pardonner à Hemingway !
The Hearth Of Spain fut finalement publié, avec Aragon et sans Hemingway : The Heart of Spain, Alvah Bessie ed., 1952.
Page parente : Vétérans de la brigade Lincoln