Les mutins de la mer noire
André Marty et les Brigades internationales
Les mutins de la mer noire
Texte de Claude Pennetier
Lorsque, après l’armistice du 11 novembre 1918, son navire fit partie de l’escadre envoyée devant Odessa pour combattre la Révolution russe, Marty — qui aurait demandé, sans succès, à quitter l’armée en novembre 1918 et en janvier 1919 — fut au cœur des mutineries connues sous le nom de Révolte de la mer Noire. Dès février 1919, des mouvements de refus d’obéissance apparurent dans l’armée de terre. En mars, une compagnie du génie refusa d’ouvrir le feu sur les “ rouges ” à Odessa. Le mécontentement s’affirmait également chez les matelots (souvent d’anciens ouvriers), las de la guerre, peu enclins à gêner la progression des bolcheviks — ceux-ci arrivèrent devant Odessa début avril — et qui réclamaient avec force l’amélioration de la nourriture ainsi que leur démobilisation.
L’arrestation de l’officier mécanicien André Marty à bord du Protêt, le 16 avril, précéda la révolte. Celui-ci avait projeté avec ses amis, dont Louis Badina, de prendre le contrôle du torpilleur pour entrer, drapeau rouge au mât, dans le port d’Odessa et donner ainsi le signal d’un mouvement qui paralyserait l’intervention française. A défaut de pouvoir rencontrer des bolcheviks, il avait profité d’une escale à Galatz (Roumanie) pour discuter avec des sociaux-démocrates roumains. Le complot s’ébruita et Marty fut arrêté trois jours plus tard, avant d’avoir pu passer à sa réalisation.
La mutinerie proprement dite éclata le 19 avril 1919 sur le cuirassé France à l’instigation du matelot mécanicien Virgile Vuillemin alors que l’évacuation d’Odessa se poursuivait depuis treize jours et que des navires français avaient tiré sur les troupes bolcheviques les 16 et 17 avril.
D’abord emprisonné à terre, à Galatz, puis transféré le 23 avril à bord du Waldeck-Rousseau, d’où il chercha à communiquer avec l’extérieur, Marty réussit à provoquer un mouvement de solidarité. Son transfert sur le Protêt fut suivi d’une révolte des marins du Waldeck-Rousseau. Il fut au centre de la mobilisation des mutins qui ajoutèrent à leurs revendications la volonté de sauver sa vie. Selon Maurice Agulhon : “ C’est donc très tôt, et sans qu’il ait eu besoin, comme on l’a insinué, de se fabriquer une légende, que Marty fut considéré comme le symbole de la Mutinerie. Il y avait à cela deux raisons : la première est qu’il avait été le plus hardi dans la conception et dans l’organisation (encore qu’on ne connaisse celle-ci que par allusions), la seconde qu’il était le seul des mutins à avoir rang d’officier. ” (op. cit.) Les documents, et en particulier la lettre qu’il écrivit à son frère Jean le 23 juin 1919, témoignent de son courage, de sa solidarité avec les autres inculpés et de sa volonté de lier le mouvement ouvrier français à la défense des mutins : “ J’insiste sur ce que, devant une condamnation à mort très probable, je me déclare plus que jamais solidaire de tous ceux impliqués dans les affaires de la mer Noire. Éclairez les ouvriers et les paysans sur cette énorme affaire. Les bolcheviks ne sont pas ce qu’on dit en France et on oblige les marins et les soldats à faire une besogne ignoble contre leur volonté. ”
Le 5 juillet 1919, après que Marty se fût dans sa déposition finale solidarisé avec tous les soldats et marins révoltés sur le front russe et en mer Noire, le conseil de guerre, réuni à bord du Paris en rade de Constantinople, le condamna à vingt ans de travaux forcés, vingt ans d’interdiction de séjour et à la dégradation militaire.
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