L'album illustré des activistes
André Marty et les Brigades internationales
L’album illustré des Activistes
Texte d'Edouard Sill
Les collections du CHS, issues des archives privées d’André Marty, possèdent une pièce unique traitant d’un sujet quasiment absent de l’historiographie de la guerre d’Espagne et des Brigades internationales : l’album des Activistes de la XIème brigade Thälmann.
Cet album se compose de quatre bandes cartonnées et pliées, supportant une dizaine de photographies chacune. Il est entièrement réalisé à main, décoré à la plume et au crayon par un artiste anonyme « HB ». Il s’agit d’un reportage photographique réalisé dans la XIème brigade Thaelmann lors de la Conférence des activistes de la 35ème division, appelé « Congrès des nationalités », tenue le 5 juillet 1938. Il fut probablement confectionné peu après le congrès et offert à André Marty comme hommage de la XIème brigade, ou, bien plus tard, lors de son anniversaire, le 6 novembre 1938.
Le mouvement de l’activisme fut une initiative politico-militaire performative décidée par le comité central du PCE en 1937. Il s’agissait d’un « mouvement » présenté comme spontané, réunissant, sans aucune structure propre ni affiliation au PCE, des combattants dénommés « activistas » (« militants ») autour des mots d’ordre du gouvernement. L’activiste consistait en un modèle de soldat politique exemplaire diffusé parmi la troupe, en une sorte de combattant d’élite procédant par l’autocritique et l’émulation. Le mouvement fut réellement initié à la fin du printemps 1938, dans la lignée d’une campagne précédente du PCE et appliquée avec diligence dans les Brigades internationales : la campagne de « capacitación » (formation, éducation, terme qui évolua dans les Brigades internationales en un néologisme francisé : « capacitation »). Le principe reposait sur une fome de stakhanovisme militant et militaire. L’activisme fut à la fois un programme éducatif, une campagne de propagande et un mouvement cryptocommuniste, diffusé dans l’armée républicaine en soutien du gouvernement d’union nationale du Dr Juan Negrín.
À l’instar de la guerre civile russe, la majeure partie des recrues espagnoles et catalanes qui composaient désormais la masse des soldats des Brigades internationales, étaient analphabètes, très peu politisées et peu motivées. Il fallait donc entreprendre un vaste programme d’alphabétisation, préalable indispensable à toute éducation politique. L’antagonisme recrues-vétérans devait être dépassé par l’introduction d’un nouvel éthos politico-militaire performatif destiné à augmenter les capacités politiques et militaires des combattants. Associé à ce projet éducatif, un principe d’émulation individuel et collectif fut introduit, portant sur absolument tous les aspects de la vie militaire et militante : de l’entretien des armes à la discipline, en passant par la poésie, le dessin ou l’hygiène. Chacun des activistes s'engageait ainsi à faire de son unité la meilleure et créant par conséquent une dynamique de cohésion et d’intégration.
Inspiré par les méthodes en vigueur dans l’Armée Rouge, le principe d’émulation entre unités fut également introduit à la fin de 1937 dans les brigades communistes. Les compagnies, bataillons et brigades devaient se mesurer sur différentes tâches militaires, culturelles ou politiques. En juillet et août 1938, les concours portaient sur le nombre de mètres de tranchées creusés, sur le nombre de mètres de camouflage, de fils barbelés mis en place, mais aussi le nombre de « camarades alphabétisés », les cartouches récupérées, le lancer de grenades, les boisseaux de blés récoltés avec les paysans, l’épluchage de patates ou le démontage-remontage du fusil-mitrailleur, en passant par la qualité esthétique des dessins ou des poésies des journaux muraux.
Le mouvement des activistes permit indubitablement de raffermir les Brigades internationales fragilisées par la succession de défaites de janvier à avril 1938 (en Andalousie, à Teruel puis en Aragon) en proposant un cadre politique renouvelé, capable à la fois de renforcer la cohésion et d’assimiler plus rapidement les milliers de nouvelles recrues. L’introduction du mouvement des activistes eut pour conséquence une osmose jusqu’ici inconnue dans les Brigades internationales, à la fois entre étrangers et Espagnols, entre vétérans et jeunes recrues et entre les contingents nationaux. La réception par les combattants étrangers semble avoir été très favorable, la lecture des correspondances des volontaires est en effet explicite : beaucoup y voyaient un enseignement supplémentaire utile pour la suite, une sorte de perfectionnement politico-militaire.
Dans l’album des Activistes offert à André Marty, quatre thèmes ont été choisis pour ordonner l’ensemble des photographies. Tout d’abord la grande conférence, avec ses différents orateurs et où André Marty « âme des Brigades internationales » tint la vedette, évènement politique central du congrès. L’album présente ensuite les réalisations politiques des activistes lors du congrès des nationalités : panneaux muraux, engagements solennels, la célébration de chaque nationalité et leur harmonie dans les Brigades internationales, etc. Enfin, deux aphorismes typiques du mouvement des Activistes ont été illustrés par des photographies réalisées durant le congrès et ses diverses activités corolaires. Sous le titre de « Le travail des activistes est notre mouvement stakhanoviste ! » sont réunis des illustrations des entrainements et réalisations des Activistes, sur des sujets aussi divers que la tactique d’attaque des chars de combats à la grenade ou au cocktail Molotov, la confection d’un journal mural de tranchée, la fabrication d’un gourbi de tranchée officiant comme Maison de la culture, l’amitié entre deux servants de mitrailleuse, l’un germanique et l’autre espagnol, une remise fraternelle de drapeau entre deux bataillons internationaux ou la réalisation d’une piscine. Le second thème est intitulé « L’unité du front et de l’arrière » et célèbre les liens entre l’armée et la population, en l’occurrence les Brigades internationales avec les délégations des villages aux alentours invités au congrès.
Vingt jours après le congrès, la 35ème division franchissait l’Èbre sur des ponts du génie jetés sur le fleuve ; l’Ejercito del Ebro prenait l’offensive. Les Brigades internationales y payèrent au prix fort leur dernière participation aux combats de la guerre d’Espagne, sous cette forme du moins. Le dernier congrès des activistes des Brigades internationales eut lieu le 11 novembre 1938, après leur démobilisation. À cette occasion, ils jugèrent solennellement de continuer le combat par d’autres moyens, le retrait des étrangers n’étant pour les activistes des Brigades internationales qu’un « changement de front ».
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