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Historiographie sommaire et sources numériques

André Marty et les Brigades internationales

Historiographie sommaire des Brigades internationales

établie par Edouard Sill

 

Les Brigades internationales constituent à n’en point douter le sujet le plus traité de la guerre civile espagnole, sujet pourtant particulièrement prolixe. Fernando Rodríguez de la Torre a recensé dans son dictionnaire bibliographique pas moins de 2 312 ouvrages traitant du volontariat étranger en faveur de la République espagnole. On peut distinguer grossièrement quatre périodes révolues et une nouvelle en émergence dans l’historiographie consacrée aux Brigades internationales des quatre-vingt dernières années.

Une première période couvre l’immédiat après-guerre d’Espagne jusqu’en 1957, d’abord occupée par le jeune État franquiste dénonçant l’action de l’URSS en Espagne puis par une forte production mémorielle communiste permise par la déstalinisation. Il s’agit d’un socle historiographique marqué par l’impossibilité d’accès aux archives. La lecture de la guerre civile espagnole est alors assujettie par la Seconde guerre mondiale. À partir de 1952, le rôle d’André Marty est gommé des ouvrages communistes et des articles sur le sujet, ce qui a nécessité un certain nombre de contournements et de réajustements qui ont influencé l'historiographie non-communiste.

La seconde période part des années 1960 jusqu’à la chute du franquisme en 1975 et définit définitivement la Guerre d’Espagne comme un évènement singulier. Les premières monographies étayées sur la Guerre d’Espagne sont publiées aux États-Unis, en France et en Grande Bretagne, replaçant les Brigades internationales dans un contexte plus large. De nombreuses parutions de témoignages et de mémoires apportent des éclairages nouveaux, dans un contexte historiographique cependant profondément marquée par la guerre froide, par une contre histoire franquiste et les tensions mémorielles héritées de la défaite républicaine en Espagne. André Marty réapparait avec hésitation dans les productions communistes et soviétiques mais est désormais identifié comme un personnage majeur dans les monographies occidentales.

La troisième période de 1975 à 1996 voit éclore une très forte production littéraire et une redécouverte de la documentation institutionnelle disponible. Une partie des archives des Brigades internationales est alors accessible aux historiens soviétiques et des républiques populaires de l’Est mais leurs travaux pionniers ne franchissent pas le rideau de fer. En Europe et aux États Unis, l’attention se porte sur le rôle des partis communistes dans les Brigades internationales. Le cinquantième anniversaire est marqué par la publication de travaux ou de recueils d’articles aujourd’hui devenus des classiques, en France, en Belgique et en Grande Bretagne. Cette redécouverte s’accompagne toutefois d’une violente querelle historiographique mêlant paradoxalement des auteurs d’extrême-droite et d’extrême-gauche dans une démarche intentionnaliste faisant des Brigades internationales un objet stalinien dominé par le NKVD, cheval de Troie soviétique en Espagne. André Marty est désigné comme un élément central dans les accusations portées contre les Brigades internationales et parfois dépeint en criminel.

La quatrième période commence au tournant des années 2000, avec l’exploitation des archives des brigades internationales à Moscou désormais accessibles. Cette période de maturité est marquée par un renouvellement considérable des études sur les Brigades internationales et l’émergence d’une nouvelle génération de monographies sur les contingents nationaux de volontaires en France, en Suisse, au Canada et en Autriche notamment. Ces travaux se sont également solidement appuyés sur une surface documentaire considérable, permise par des accès facilités aux archives militaires, politiques, judiciaires et diplomatiques. Cependant, ces monographies ont davantage complétées et corrigées les travaux précédents plutôt que de participer à les rendre caduques mais ont initié certainement la marginalisation progressive des études marquées par des postulats idéologiques. C’est en Suisse et en Espagne que cette nouvelle génération a produit les fruits les plus féconds, provoquant une série de travaux collectifs et une attention nouvelle à propos des Brigades internationales. On assiste à une décrispation mémorielle autour d’André Marty, dont le rôle en Espagne est réévalué, sans complaisance mais en rupture avec les affirmations des décennies précédentes.

Vers une seconde redécouverte des Brigades internationales ? La transversalité du sujet constitue désormais un vecteur principal et les études couvrent des secteurs laissés jusqu’alors en jachère ou volontairement ignorés : le rôle des partis communistes étrangers, le volontariat international hors des Brigades internationales et pro-franquiste, les femmes volontaires, les déserteurs, les aspects sanitaires et humanitaires, etc. Le sujet est donc loin d’être clos et l’approche transnationale et anthropologique commence, replaçant les Brigades internationales dans un continuum historique transcendant le champ strict de la guerre civile espagnole.

 

                                                                                                                       

Les sources numériques des Brigades internationales

Les archives des Brigades internationales sont déposées au RGASPI (Российский государственный архив социально-политической истории - Centre russe pour la conservation des archives en histoire politique et sociale) de Moscou et désormais disponibles en ligne. Ce fonds incontournable doit être complété par la consultation des nombreux fonds numérisés du Komintern, notamment ceux du PCF mis en ligne par le portail français PANDOR. Des informations et liens utiles sur les collections du Komintern sont disponibles sur le blog du projet Paprika@r

Les principaux portails documentaires numériques institutionnels sont ceux de l’Abraham Lincoln Brigade Archives, le Centro de Estudios y de Documentación de las Brigades Internacionales CEDOBI d’Albacete, le projet canadien Canada and the Spanish Civil War. En Grande Bretagne deux sites importants proposent des collections numérisées : la Marx Memorial Library & Workers' School de Londres et la University of Warwick Library Digital Collection. Quelques-uns sont assortis d’annuaires biographiques des volontaires, comme le site autrichien des Dokumentationsarchiv des Österreichischen Widerstandes (DÖW) et le portail suisse spanienfreiwillige.ch. Le projet catalan Memòria històrica brigades internacionals du SIDBRINT entrepris par l’université de Barcelone est prometteur quoique l’absence regrettable d’un encadrement scientifique solide sur le sujet nécessite quelques précautions d’usage de la part du lecteur.

Malheureusement, il n’existe pour le moment aucun projet ou portail institutionnel similaire en France, malgré la place prépondérante de ce pays dans la solidarité avec l’Espagne républicaine et dans le volontariat international durant la guerre d’Espagne. L’ACER a entrepris la réalisation d’un annuaire en ligne des volontaires français et immigrés venus de France.