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Les Femmes dans les Brigades internationales

André Marty et les Brigades internationales

Femmes

Fonds Gabriel Ersler - BDIC

Femmes

Fonds Gabriel Ersler - BDIC

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Fonds Gabriel Ersler - BDIC

Les femmes dans les Brigades internationales

Texte d'Edouard Sill

 

Parmi les 40 000 étrangers qui se sont portés volontaires pour l'Espagne gouvernementale et antifasciste, il y eut environ 500 femmes, dont une cinquantaine en dehors des Brigades internationales. C’est dans les activités sanitaires et médicales que furent employées les volontaires étrangères, seule une dizaine d’entre elles a combattu dans les formations paramilitaires miliciennes durant l’été-automne 1936.

Le mot volontaire est un mot épicène qui, contrairement à militant, partisan, résistant ou combattant, participe à gommer les distinctions sexuelles objectives et semble ne renvoyer qu’à sa dimension masculine. Certes, les hommes formèrent l’immense majorité des volontaires internationaux vers l’Espagne mais certains aspects et destinations du volontariat concernèrent un grand nombre de femmes. Si, derrière la figure du volontaire, on envisage un homme, c’est qu’on y voit, avant le sexe, la finalité de l’engagement, c'est-à-dire la vocation combattante. Or, pour certains volontaires masculins, le fait de tenir une arme ne fut ni souhaité ni même envisagé comme le déterminant de leur engagement en Espagne. De la même manière, la documentation des formations internationales en Espagne et les témoignages des intéressées illustrent que dans la majorité des cas l’engagement volontaire des femmes avait été dès l’origine envisagé dans le domaine médical et sanitaire.

La visibilité du volontariat international féminin souffre également de la mise en avant des rares parcours de combattantes, quand bien même certaines n’ont jamais tenu une arme , ou même souhaité le faire, mais désiraient être employées selon leurs spécialités ou les besoins. La majorité des étrangères identifiées sont venues avec leur compagnon : il s’agit d’un engagement souvent décidé et vécu à deux, parfois dans le cadre d’une fratrie ou après le décès de l'être cher. Soulignons qu’à partir du printemps 1937, les étrangers furent dans l’obligation de se justifier d’une activité en Espagne pour demeurer sur le territoire espagnol. Or, le règlement militaire espagnol excluait dès septembre 1936 la présence et l’enrôlement des femmes, pourtant nombreuses dès la création des Brigades internationales, généralement des compagnes ou des militantes venues prêter main-forte. Le premier document séparant les sexes officiellement dans les Brigades internationales date du 1er décembre 1936 :

Il est rappelé à tous les commandants d’unités et chefs de service que les Brigades Internationales et la base sont des unités régulières de l’Armée espagnole. Dans ces conditions, et suivant le règlement de l’Armée espagnole, aucune femme ne peut être admise dans aucun service quel qu’il soit. Il est également rappelé en même temps qu’à part les femmes de services espagnoles employées dans des conditions bien déterminées et salariées aucune femme ne peut pénétrer dans les cantonnements. [...] Ne pourront être utilisées que des femmes possédant leurs diplômes de médecins, chirurgie, infirmières qualifiées dans les hôpitaux et uniquement dans les services sanitaires, hors des casernes et des unités de combat.

Cette décision est en fait extrêmement difficile à appliquer et nécessite d’être constamment rappelée durant plusieurs mois. En effet, les femmes sont encore nombreuses, et beaucoup de volontaires ne comprennent pas pourquoi leurs compagnes ne peuvent les rejoindre, situation justement évoquée par Robert dans ses lettres à son épouse.

Le processus de masculinisation passe également par une étape de dévirilisation des volontaires féminines : par l’obligation de se tenir éloignées des postes combattants, et de facto des lieux militaires, mais aussi par une distinction extérieure de genre. Le 18 janvier 1937, le commandant de la Base publie, en effet, un rappel à l’ordre concernant les femmes des Brigades internationales : les « camarades femmes » doivent se distinguer des « volontaires » par leurs tenues. Le refus des vêtements « pseudo-militaires » pour les femmes s’étend en fait à tous les vêtements masculins, sans aucune prise en compte d’un éventuel aspect pratique. Fanny Golub, volontaire américaine qui officia tout d’abord comme infirmière de front, raconte que lorsqu’André Marty visita l’hôpital de campagne de Teruel en janvier 1938, il fut scandalisé de voir les infirmières porter des pantalons de laine (la température atteint - 15° durant la bataille). Choquée par son attitude, elle le fit sortir de la salle d’opération. La question de l’uniforme militaire féminin est importante. On avait déjà reproché aux auxiliaires féminins de la Première Guerre mondiale de « singer » les hommes en portant des uniformes masculins.

En décembre 1936,  André Marty procéda à une vaste épuration du personnel sanitaire d’Albacete. Une vingtaine de femmes étrangères seulement demeurèrent à la Base d’Albacete après celle-ci. Instructions furent données afin que le personnel médical et sanitaire envoyé en Espagne soit plus scrupuleusement trié : « parmi eux seront les nombreuses femmes d’Europe centrale ou méridionale, qui se sont infiltrées en Espagne avec un pseudo-diplôme d’infirmière ou autres. [...] Je suis donc convaincu qu’avec énergie, vous endiguerez cet afflux de parasites politiques ou autres, qui s’étaient abattus sur l’Espagne comme des sauterelles. ». Ce terme récurrent d’« infiltrées » renvoie à l’absence de statut réel de beaucoup de femmes volontaires ou de femmes de volontaires voulant se rendre utiles. Beaucoup de volontaires comme de militantes chevronnées avaient dû accepter un poste d’infirmière ou de sténodactylo pour pouvoir rester. Elles demeurèrent à la merci d’un renvoi qui sanctionnait la moindre faute. Les chirurgiennes et médecins, une cinquantaine, furent à peine mieux jugées. Pourtant, jamais un homme ne fut exclu ou jugé sur le fait de ne pas avoir fait son service militaire avant de venir, et un grand nombre de cadres militaires furent finalement formés sur place. Pour l’ensemble des volontaires étrangers masculins, il fut plus facile d’intégrer les Brigades internationales que d’en sortir. Ce fut l’inverse pour les femmes, dissuadées pour beaucoup avant même leur départ.

 

Femmes

Salaria Kea O'Reilly

Photo ALBA

Il existe une extrême diversité de parcours, de motivation et profil parmi ses femmes volontaires, mais rien ne la distingue concrètement de celle de leurs homologues masculins. L’engagement volontaire caritatif de beaucoup de volontaires anglo-saxonnes et scandinaves est très différent du volontariat politique très encadré des femmes d’Europe centrale et orientale, pour autant, leurs activités concrètes en Espagne sont les mêmes. Certaines étrangères eurent des parcours fameux, telles que l’afro-américaine catholique Salaria Kea O’Reilly, refusée comme infirmière lors des grandes inondations dans l’Ohio en 1936 parce que noire, ou Evelyn Rahman, conductrice de taxi new-Yorkaise, dont l’ambulance nommée « Baby » était bien connue des combattants. Federicka Martin, infirmière américaine des Brigades internationales, s’est attachée après-guerre à perpétuer la mémoire de ses consœurs, sa documentation a été déposée à l’ALBA à New York.

Les étrangères volontaires de la guerre civile constituent un exemple idoine de l’Histoire comme récit qui aurait « oublié » les femmes, selon le mot célèbre de Michelle Perrot. Elles furent avant tout victimes d’une mémoire éminemment héroïque où le rôle de victime était déjà largement pourvu. André Marty avait, paradoxalement, prévu de leur rendre un hommage spécifique dans son projet d’histoire, sans toutefois les associer aux contingents nationaux de volontaires. Malgré une documentation riche, mais extrêmement éparse, il existe très peu de travaux spécifiques : la plupart des études sur les femmes étrangères en Espagne traitent tout d’abord de la place et de la visibilité des femmes durant la guerre d’Espagne et non des femmes comme part du volontariat étranger. Il faut également remettre en contexte les « grands » témoignages de certaines volontaires étrangères, dont les parcours furent souvent tout à fait exceptionnels et ont écrasé, comme parmi les volontaires masculins, les itinéraires modestes du plus grand nombre.