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Le service de santé

André Marty et les Brigades internationales

Service de santé

Témoignage de Irène Strorzecka

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Témoignage de Fanny Bré

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Le service de santé des Brigades internationales

Texte d'Edouard Sill

 

L’aide médicale fut la première expression directe de la solidarité internationale vis-à-vis de l’Espagne gouvernementale. Dès août 1936, de nombreuses initiatives transnationales de volontariat sanitaire furent organisées en Grande Bretagne, en Suisse, en France et en Tchécoslovaquie. Les convois d’ambulances et l’installation de premiers hôpitaux de campagne dressés par du personnel étranger furent chaleureusement accueillis, davantage que la présence des volontaires étrangers en armes. Le réseau hospitalier espagnol était en effet totalement déstructuré : la Croix Rouge espagnole avait rejoint la rébellion et n’était pas la bienvenue dans le territoire républicain. D’autre part, nombre de médecins ou de chirurgiens dits « bourgeois » furent ostracisés, tandis que les religieuses, qui formaient une part conséquente du personnel hospitalier espagnol avant la guerre civile, furent souvent persécutées. L’Espagne républicaine avait un besoin vital de personnel médical, de spécialistes, de matériel et d’argent, pour construire un système adapté de réception et de traitement des blessés de guerre.

La création des Brigades internationales, en octobre 1936, a favorisé la création d’un formidable dispositif médical étranger en Espagne républicaine, d’une ampleur hors du commun : le Service Sanitaire International (SSI) et une structure de coordination mondiale non moins originale : la Centrale Sanitaire Internationale (CSI). Toutes deux furent incontestablement la contribution la plus efficace et la plus utile de la solidarité internationale envers la République espagnole.

À l’origine uniquement destiné à subvenir aux besoins médicaux des Brigades internationales, le SSI fut créé entre décembre 1936 et janvier 1937 par l’action de médecins communistes venus de France, et par l’amalgame de missions sanitaires internationales, notamment britanniques, déjà présentes en Espagne. Contrairement aux Brigades internationales, le service sanitaire a agrégé la quasi totalité des initiatives étrangères de solidarité et a lié dans l’unité d’action les trois internationales ouvrières socialiste (IOS), syndicale (FSI) et communiste (IC). Il a bénéficié, de ce fait, d’une mobilisation internationale coordonnée et professionnelle.

En effet, le SSI fut doté d’une structure internationale en janvier 1937 : la Centrale Sanitaire Internationale d’aide à l’Espagne républicaine (CSI), qui s’est imposée comme la coordination incontestée de la solidarité médicale et sanitaire vers l’Espagne républicaine. Il s’agit sans conteste de la plus grande réussite unitaire du Komintern qui parvient à fédérer autour de ses émanations locales et du SRI la presque totalté des initiatives nationales de solidarité et à placer à sa tête plusieurs médecins communistes. La CSI a dirigé vers les Brigades internationales du matériel, du personnel et des fonds levés par collectes.

La CSI prit une importance politique grandissante dans les projets du Komintern et demeura, jusqu’en 1939, le vaisseau amiral de la tactique unitaire kominternienne dans les pays démocratiques. En octobre 1937, ses missions furent rappelées : « Créer une organisation vraiment centralisée qui réunisse tous les Comités d’aide du monde entier et qui devienne en réalité la Croix-Rouge du mouvement antifasciste ». En novembre 1937, à la suite de la grande campagne internationale en faveur des réfugiés basques et des enfants évacués de la poche du Nord, qui connaissait un grand retentissement au Royaume-Uni, en Hollande et en Scandinavie, fut créée une seconde commission spécifique au sein de la CSI : l’Office International pour l’Enfance, qui, lui aussi, se déclina par la suite autour des Brigades internationales.

Le gouvernement républicain espagnol vit immédiatement l’importance de l’aide fournie par le SSI et par la CSI et entreprit, dès janvier 1937, de séparer le dispositif sanitaire international de la tutelle de la Base d’Albacete. En septembre 1937, tandis que les Brigades internationales perdaient leur autonomie organique, le SSI fut décroché et devint, en janvier 1938, la Ayuda Medical Extranjera, dépendant de l’Armée de Terre républicaine, en conservant en grande partie ses attributions auprès des Brigades internationales. En juillet 1938, la CSI était également placée sous une direction gouvernementale espagnole, largement dominée par le PCE. Après la guerre d’Espagne, certains médecins du SSI se dirigèrent vers la Chine dans le cadre d’une mission sanitaire auprès des armées communistes, d’autres furent particulièrement actifs dans les résistances nationales contre l’occupant nazi.

En décembre 1936, le front était suffisamment près de la zone arrière pour permettre l’évacuation vers Madrid, bien pourvue en hôpitaux. L’équipe du médecin canadien Norman Béthune, indépendante des Brigades internationales, organisait dans la capitale assiégée le premier réseau de transfusion sanguine en situation de guerre. Selon des directives données par André Marty, le SSI fut, quant à lui, établi selon les plans du système français de triage des blessés utilisé lors de la Grande Guerre, soit un système par échelons d’Hôpitaux d’Origines d’Étapes (HOE) et d’hôpitaux d’évacuation. Chaque brigade disposait d’ambulances chirurgicales mobiles imitées des dites « autochirs » françaises du général Chavasse pendant la Première Guerre mondiale, dites en Espagne « groupes mobiles chirurgicaux ». Ceux-ci connurent leur baptême du feu durant la bataille du Jarama (février 1937), en accomplissant en moyenne 60 opérations par jour. Ils évacuèrent à eux seuls plus de 900 blessés des Brigades internationales. Disposant d’appareils à rayons X et d'un bloc opératoire, les autochirs permettaient d’opérer sur place les blessés au ventre et à la tête.

À la fin du printemps 1937, le dispositif médical du SSI était impressionnant : 234 médecins, 608 infirmiers et infirmières, 600 brancardiers, 13 équipes chirurgicales de campagne, dont 4 groupes dentaires, ainsi que 9 autochirs, 150 ambulances, 7 véhicules de désinfection, 3 groupes mobiles d’évacuation et 6 000 lits répartis dans plus de 20 hôpitaux, dotés d’un matériel estimé à 15 millions de pesetas. Les États-Unis furent le principal contributeur du SSI, tant par la qualité des équipes médicales envoyées en Espagne que par les levées de fonds réalisées outre atlantique. L’American Medical Bureau to Aid Spanish Democracy, le puissant comité américain de solidarité avec l’Espagne républicaine, a organisé durant la guerre d’Espagne 14 équipes médicales mobiles entièrement équipées, les American Medical Unit, soit 124 volontaires dont une soixantaine de femmes, en comptant les cinq travailleuses sociales détachées auprès des enfants réfugiés.

À Murcie, le premier hôpital international fut mis en place en décembre 1936 par une infirmière polonaise du PCF, Irène Strorzecka, arrivée en octobre 1936 avec la première équipe médicale du PCF pour la colonne internationale. Les archives d’André Marty conservent un témoignage de la création de cet hôpital, fourni par Irène Storzecka en 1948. Le SSI a distribué ses hôpitaux et maisons de convalescence dans l’arc sud-est de la zone républicaine : 7 hôpitaux à Albacete, 4 à Murcie, 3 à Alicante, 5 à Cuenca, 1 à Jaen, Castellon de la Plana, Cordoue et Madrid. Parmi eux figure l’hôpital spécialisé en dermatologie et maladies vénériennes de Pontones, et l’énorme complexe de Benicassim (convalescence et rééducation) de 3 200 lits, dirigé par Yvonne Robert. Les socialistes, désireux de maintenir leurs propres initiatives de solidarité distinctes des émanations du Komintern, travaillent en Espagne en relation étroite avec le SSI. C’est le cas des hôpitaux issus de comités sociaux-démocrates : un tchécoslovaque «Jan Amos Comenio » à Hueta et un suedo-norvégien à Alcoy, ainsi que les « mamans belges » de l’hôpital financé par l’IOS-FSI à Ontoniente.

Contrairement aux Brigades internationales, le recrutement de personnel pour le SSI se fit ouvertement, et de nombreux appels à volontaires furent diffusés pour trouver des « médecins, pharmaciens, dentistes, infirmiers ». L’immense majorité des étrangères volontaires ont officié dans le SSI. Les médecins, de tout sexe, obtenaient le grade de lieutenant et quelques femmes furent même commissaires politiques dans les hôpitaux, dont la première épouse d’André Marty.

Les hôpitaux internationaux ont également pris en charge la population civile, notamment les accouchements. Parmi les volontaires, les problèmes gastro-intestinaux furent très nombreux, provoqués par l’inaccoutumance à l’alimentation méditerranéenne, comme les maladies vénériennes dont les 731 lits de Pontones rappellent l’ampleur. Une unité psychiatrique fut rapidement mise en place pour les étrangers traumatisés et atteints du « shell-shock ». Les sourires des infirmières et des blessés dans les publications de propagande ne peuvent faire oublier la dureté des conditions, ni les épidémies de typhus qui sévirent en 1938. Le SSI se surnommait avec humour « la Brigada de la Mierda » et a subi comme les fantassins de nombreux bombardements. Il est arrivé que l’on abandonne les blessés à l’ennemi avec du personnel de santé, comme en août 1937 à Quinto.

André Marty a été incontestablement l’artisan de la grande réussite opérationnelle internationale que fut le SSI, par sa capacité à mobiliser les individus et à faire aboutir des projets difficiles, mais le dirigeant des Brigades internationales infligea au personnel médical une attention suspicieuse, particulièrement contraignante. Suivant des poncifs hérités des précédents conflits, il redoutait la constitution de réseaux ennemis, ou du moins hostiles, dans les centres hospitaliers de l’arrière, ou la présence d’espions, voire d’agents ennemis chargés d’achever les blessés. Il attribuait ainsi les erreurs et les manques à des sabotages ou des preuves de la constitution par l’ennemi de « centres de décomposition » destinés à démoraliser les patients. Cette suspicion a justifié la rédaction de nombre de rapports, d’enquêtes, de dossiers à charge mais également deux épurations particulièrement traumatisantes pour les volontaires parmi le personnel.

Prenant prétexte de quelques cas d’incompétence et d’un ensemble de circonstances malheureuses, André Marty a en effet procédé, fin novembre 1936, à la quasi suppression du premier dispositif médical d’Albacete, du fait d'« un groupe de saboteurs », qui se termina par le licenciement de nombreux cadres politiques et médicaux, et le renvoi de la quasi intégralité des étrangères officiant à Albacete, accusées d’être incapables ou dangereuses politiquement. Cette opération de police fit partie des éléments à charge utilisés par le Komintern pour le mettre en retrait. Après son retour de Moscou, André Marty initia une seconde épuration des services sanitaires en 1938. Les médecins communistes n’ont pas échappé à ses ires ; Marty semble avoir été de manière générale particulièrement suspicieux à l’égard des militants et volontaires intellectuels. Le sujet de préoccupation soulevé dans chacune des « affaires » fut incontestablement la masse des blessés, et la crainte de leur démoralisation ou d’une sédition. De plus, les hôpitaux étaient des espaces politiques comme toutes les autres entités des Brigades internationales, disposant de leur presse et tenant des réunions collectives régulières.

Les activités sanitaires du volontariat international en Espagne durant la Guerre civile constituent un trait d’union entre les volontariats sanitaires des conflits du XIXème siècle et les engagements humanitaires dans le cadre guerrier du XXIème siècle, tout en possédant une dimension éminemment politique qui lui donne sa profonde originalité. Son importance et son efficacité ont été largement relégués dans l’ombre par le poids mémoriel et héroïque des brigades internationales combattantes.