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Le grand recrutement de l'automne 1936

André Marty et les Brigades internationales

Le "Grand recrutement : la grande levée de volontaires de l'automne 1936

Texte d'Edouard Sill

 

Le grand recrutement se caractérise par une explosion du nombre de volontaires étrangers sur une courte période, entre la fin octobre 1936 et la fermeture de la frontière pyrénéenne en février 1937. Cette levée permit l’envoi en Espagne de plus de 10 000 volontaires supplémentaires, venant s’ajouter au millier de volontaires, pour la plupart des immigrés venus de France, déjà réunis en octobre 1936 pour former la « colonne internationale ». Le 20 octobre 1936, celle-ci devenait « brigade internationale » de quatre gros bataillons. Dix jours plus tard, ils étaient 3 500, au rythme d’un convoi tous les trois à quatre jours. Jusqu’en décembre 1936, le phénomène fut presque exclusivement français, les immigrations de France fournissant l’essentiel des contingents étrangers (italiens, polonais et balkaniques d’abord, allemands et germaniques ensuite) qui provenaient de la région parisienne, des régions industrielles du Nord, de l’Est (Lorraine), de la vallée rhodanienne, et du Sud-Est (de Marseille à Nice). La Belgique et la Suisse furent intégrées dans cette dynamique procédant de Paris.

En novembre et décembre 1936, une formidable remue d’hommes saisit la France. Le sujet est dans toutes les bouches et l'engouement est tel que les volontaires qui partent sont persuadés que le recrutement se fait désormais « ouvertement », avec le soutien à mi-mots du gouvernement. Les méthodes et dispositifs de recrutement des volontaires ont été bien étudiés par Rémi Skoutelsky pour la France, Elisa Vainsel et Rudi Van Doorslaer pour la Belgique et Nic Ulmi et Peter Huber pour la Suisse. Il convient cependant de préciser quelques aspects.

Le terme de recrutement doit être défini. Il s’agit en fait d’un processus de sollicitation, d’incitation et de suggestion au volontariat vers l’Espagne, établi dès la fin du mois d’octobre 1936, qui procède davantage de l’enthousiasme et du zèle des militants communistes que de directives précises venues d'en haut. Le PCF comme le PCB invitèrent cependant chaque niveau de leur appareil interne à fournir des cadres politiques. La correspondance que Robert a adressée à sa femme illustre bien l’itinéraire parcouru par la majorité des volontaires venus en Espagne lors du grand recrutement. Avec un petit groupe de trente camarades de Bagnolet, il a rejoint un des gros convois organisés depuis Paris, et se trouva sans doute dans l’un des trains spéciaux affrétés par la CGT.  Robert et ses camarades furent dirigés tout d’abord vers Perpignan, où ils furent hébergés dans l’ancien hôpital militaire de la ville, véritable plaque tournante de la solidarité avec l’Espagne et du volontariat depuis le déclenchement de la guerre civile. Dans cette « espèce de caserne » selon les mots de Robert, des centaines d’hommes et de femmes issues de tous les secteurs de la gauche antifasciste s’activent, les anarchistes étant très présents dans l’organisation des lieux. Par petits groupes, ils sont ensuite acheminés par camion ou bus vers Port Bou puis Figueras ou Barcelone, d’où ils prennent un train pour rejoindre Albacete. Depuis Paris, le trajet vers Albacete prend trois jours à l’automne 1936, un voyage grisant pour la plupart et suffisamment long pour que d’autres reviennent finalement sur leur « coup de tête » et repartent chez eux.

La grande masse des volontaires issus du Grand recrutement est composée de Français et de Wallons, si nombreux qu’ils formèrent les effectifs de six nouveaux bataillons franco-belges, en plus des deux déjà existants, soit deux nouvelles brigades : les XIIIème et XIVème. A l'automne 1936, tous les témoignages de cadres convergent pour signaler que cet afflux fantastique n’avait pas été prévu ou anticipé, bien qu’accueilli avec ferveur. Les responsables d’Albacete attendaient surtout une amélioration qualitative des effectifs par un choix opéré sur un plus grand nombre de postulants. Seule une minorité aurait dû être envoyée. Tel ne fut pas le cas : il s’agissait davantage d’un recrutement des bonnes volontés portées par un enthousiasme fébrile que d’un dispositif d’enrôlement militaire. On fit largement savoir qu’il était possible de partir combattre en Espagne, que les Espagnols n’avaient pas les connaissances militaires des étrangers, que le trajet était pris en charge, qu’ils recevraient une solde et qu’une organisation non espagnole les accueillerait sur place. De plus, les familles recevraient une pension durant leur absence, ce que Robert n’apprit qu’une fois arrivé. Il s’empressa d’en informer son épouse. Ils seraient aussi pris en charge en cas de blessure ou d’invalidité. Les pensions aux familles étaient indexées sur le montant et le système des allocations familiales (en s’ajoutant le cas échéant) et incluaient les immigrés exclus de ce précédent droit. Cet aspect n'est pas négligeable en 1936.

La « Levée en masse » de l’automne 1936 eut pour horizon de « sauver Madrid » et fut présentée ainsi dans les réunions publiques. Pourtant, ces supplétifs recrutés lors du Grand recrutement n’allèrent pas combattre à Madrid et connurent pour la plupart un baptême du feu ingrat et mortifère en Andalousie et à Teruel. Robert suivit un autre parcours : du fait de ses connaissances techniques héritées de son service militaire, il fut nommé sous-officier et agrégé à un groupe de renforts pour le bataillon français de la seconde brigade internationale, qui combattit à Madrid.

En décembre, le Komintern modifia son projet initial, très probablement à partir du constat de l’immense engouement provoqué par les départs massifs de France. Dix-sept partis communistes, presque tous issus d’un pays démocratique ou bien en exil en France, furent invités à procéder systématiquement au recrutement de volontaires et à leur envoi en Espagne via Paris. En janvier 1937, les volontaires non français étaient devenus majoritaires dans les convois, principalement polonais, balkaniques et britanniques. Les services de police estimaient qu’entre 20 000 et 25 000 volontaires étaient sortis de France à destination de l’Espagne depuis le déclenchement de la guerre civile, dont une moitié de Français. À l’issue de son séjour en Espagne en janvier 1937, Maurice Thorez indiquait dans différents rapports le chiffre total de 16 106 volontaires partis de France (12 000 français et près de 4 000 immigrés), pour un total de 20 000 hommes, soit une estimation probablement plus juste que les statistiques postérieures réalisées par les Brigades internationales.

Après la fermeture de la frontière en février 1937, le flux des arrivées d'étrangers s’effondre. Seule la survenue des gros contingents provenant d’Amérique du Nord et de Tchécoslovaquie, après la mondialisation du recrutement décidé par le Komintern en décembre 1936, permet le maintien relatif des arrivées. Il n’y a plus de recrutement systématique, quoique le dispositif demeure pour les postulants. Les centres secondaires des filières vers Paris sont démantelés les uns après les autres : Belgrade, Prague, Zurich, Stockholm, ce qui rend chaque fois plus difficile le parcours vers l’Espagne. L’Anschluss met un terme définitif aux filières de l’Est en mars 1938.

En septembre 1937, le Komintern modifie sa stratégie espagnole mais décide de procéder à un second grand recrutement, assorti cette fois de quotas stricts. Aucun pays ne remplira ses objectifs mais ce nouvel effort va diriger de nouveau vers l’Espagne plusieurs milliers de volontaires français, polonais, balkaniques et scandinaves. Au printemps 1938, le nombre des arrivées est redescendu en dessous du niveau précédant le second recrutement, le phénomène est épuisé. La décision du gouvernement républicain de démobiliser les Brigades internationales en septembre 1938 met définitivement fin aux arrivées.

Plus de 40 000 volontaires étrangers, dont environ 35 000 dans les Brigades internationales étaient venus en Espagne pour combattre, pour les deux tiers entre juillet 1936 et mars 1937.