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Les maisons d'enfants des Brigades internationales

André Marty et les Brigades internationales

Les maisons d’enfants des Brigades internationales

Texte d'Edouard Sill

 

Le sort tragique des enfants espagnols, thème récurrent de la communication républicaine vers l’extérieur, a suscité plusieurs initiatives de solidarité organisées depuis l’étranger. Entre 1936 et 1939, la guerre d'Espagne a provoqué l'évacuation forcée de plus de trente mille enfants qui furent accueillis dans d'autres pays, en premier lieu la France et la Grande Bretagne et 3 000 en URSS. Début 1937, le Comité pour l’Espagne Libre, créé par les militants anarchistes français Louis Lecoin et Pierre Perrin, dit Odéon, créait, en Catalogne, une colonie pour des orphelins de Madrid et de Malaga évacués dans un château réquisitionné de Llançà, non loin de la frontière française. À l’automne 1937, les bombardements et la situation terrible des zones basco-asturiennes provoquent une nouvelle mobilisation des opinions publiques des pays démocratiques, et la création des Comités Bilbao. Victor Basch et Henri Wallon créaient de plus, en novembre 1937, la première grande campagne humanitaire mondiale en faveur de l’enfance victime de la guerre : l’Office international pour l’enfance, en direction des enfants et orphelins espagnols.

Au même moment, les Brigades internationales ont également créé leur propre structure : le comité (mondial) pour l’enfance espagnole (comité pro-niños de las Brigadas internacionales), avec l’intention de replacer les Brigades internationales au cœur des initiatives unitaires de solidarité. Ces dernières parrainèrent dès lors de nombreux orphelinats et maisons d’enfants, dont le premier fut la Kinderheim Ernst Thaelmann, créée en juillet 1937 à Moraleja, près de Madrid, par la XIème brigade internationale éponyme. La Kinderheim accueillit 45 orphelins et servit de modèle. Dans l’éphémère bataillon belge Pierre Brachet fut créée une association intitulée « Les Amis des Enfants », qui bénéficia d’une relative publicité en Belgique et permit l’installation d’un « Home d’enfants Pierre Brachet » en Catalogne, sur la base des dons recueillis en Belgique et de collectes parmi les volontaires belges.

Le comité pro-niños des Brigades internationales fut installé à Barcelone et dirigé par le commissaire allemand Gustave Artur Dorf pour la partie politique, et le docteur français Alfred « Fred » Brauner pour la direction du projet. À l’origine, il s’agissait d’ouvrir des foyers d’orphelins pour accueillir les enfants des Espagnols décédés dans les Brigades internationales, avant que le projet ne soit réorienté, très probablement sur le constat de l’engouement à l’étranger autour des Comités Bilbao et de la création de l’Office internationale pour l’Enfance.

Une première collecte dans les Brigades internationales avait permis de réunir une somme suffisante pour obtenir cinq maisons dans le projet de future « ville d’enfants » du gouvernement républicain, placée à Sitges, à 40 km de Barcelone. Ce projet de ville d’enfants fut interrompu par l’offensive des rebelles en Aragon, qui coupa le territoire républicain en deux. Une fois les Brigades internationales réinstallées dans la zone catalane, les colonies d’enfants furent créées dans des dépendances des hôpitaux internationaux (Benisa, Denia, Mataro, Orihela, Vich, Mahora, Selva de Farnes, etc.). Les différentes maisons (hogar), colonies et garderies, réunissaient chacune de 30 à 250 enfants jusqu’à 15 ans, dont de plus en plus d’orphelins et d’enfants réfugiés en Catalogne. Les Brigades internationales ont préparé l’évacuation progressive des enfants vers les États-Unis, la France, la Grande Bretagne, la Scandinavie et la Tchécoslovaquie.

Fred Brauner continuait en Espagne les activités de pédagogue et d’éducateur qu’il avait déjà déployé avec sa femme autrichienne, Françoise, auprès des petits réfugiés juifs d’Allemagne et d’Autriche en France. Il rejoint les Brigades internationales après Françoise, retenu par une obligation militaire. Françoise « Fritzi » Brauner était lieutenant dans les Brigades internationales en qualité de médecin, dans l’hôpital de Benicassim puis dans celui de Mataro, entre février 1937 et novembre 1938. Fred fut d’abord employé administratif à la Base d’Albacete auprès du représentant du Parti Communiste des États-Unis, puis chargé du Comité pro-niños.

En mai 1938, Fred Brauner dirigea l’édition du livre rédigé en cinq langues Los niños espagnoles y las Brigadas internationales - Les enfants espagnols et les Brigades Internationales - The Spanish children and the International Brigades - Die Spanischen kinder und die Internationalen Brigaden - Spanelké deti a Internacionalny Brigády. Ce joli livre d’illustrations, composé de photographies et de dessins d’enfants, devait, selon les mots de Fred Brauner, « donner une idée au monde de ce que sont les souffrances des enfants espagnols, victimes de la guerre fasciste et de ce que signifie l’amitié paternelle que leur portent les hommes, venus de tous les pays de la terre pour lutter en Espagne ». Le 8 août 1938, l’intégralité du comité pro-niños de las Brigadas internacionales était remis au gouvernement espagnol, soit la gestion d’un millier d’enfants auprès desquels le personnel international continua à œuvrer jusqu’en novembre 1938. Après l’Espagne, les époux Brauner passèrent une vie de vocation auprès des enfants, à la fois comme acteurs et témoins des expériences enfantines de la guerre, puis comme collecteurs, transmetteurs et enfin éditeurs.

 

Enfin, la guarderia Liselotte Hernan (pour les petits) et le Hogar Garcia Lorca (enfants de 10 à 12 ans), rattachés à l’hôpital international de Farnes de la Selva, ont confectionné un recueil pour les Brigades internationales, remis à André Marty fin 1938. La garderie a adopté le patronyme de la résistante communiste Liselotte Herrman, guillotinée à 28 ans le 23 juin 1938 à Berlin. Les plus grands ont choisi le nom du poète Federico García Lorca, assassiné le 19 aout 1936 par des gardes civiles ayant rejoint la rébellion. Il s’agit d’un livret à la confection rudimentaire, en pleine pénurie de papier en Catalogne, que les enfants des deux centres ont été invités à décorer par des dessins. Le livret rassemble une trentaine de textes colligés, relatant la vie et les activités des enfants, leurs attentes et leurs remerciements aux Brigades internationales.