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Les productions promotionnelles des Brigades internationales

André Marty et les Brigades internationales

Les productions promotionnelles des Brigades internationales

Texte d'Edouard Sill

 

La guerre civile espagnole a suscité, de part et d’autre, une production fantastique de pamphlets, d’articles, de tracts, de brochures, destinés à obtenir le soutien à l’étranger des opinions publiques. La République espagnole a largement gagné cette guerre psychologique, sans toutefois parvenir à obtenir des populations des pays démocratiques un changement radical dans les attitudes des diplomaties de leurs pays. Le Komintern a déployé un arsenal de propagande impressionnant, faisant de la guerre d’Espagne sa plus grande campagne de sensibilisation. Cette production gigantesque s’est largement appuyée sur ses expériences précédentes de mobilisation des opinions publiques au travers du procès de Leipzig (procès de Dimitrov, 1933) et surtout de l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie (1935). Les Brigades internationales ont été naturellement placées au cœur du dispositif de propagande communiste en faveur de l’Espagne républicaine. C’est avant tout le public français qui motiva la majeure partie des productions documentaires, notamment sous la forme de brochures à vocation édifiantes,destinées à attirer la sympathie de l’opinion publique vers ses compatriotes partis se battre en Espagne, tandis que la non-intervention étranglait l’Espagne. Ces publications furent également des vecteurs de diffusion des positions communistes, sous la forme de récits colligés, de discours et de témoignages vécus.

La production éditoriale communiste autour de la République espagnole a procédé par un réseau complexe utilisant plusieurs opérateurs. En France, il s’agit d’un enchevêtrement des dispositifs de diffusion existants : Éditions de la jeunesse, Éditions du Comité International d’Aide au Peuple Espagnol, Éditions du Comité populaire de Propagande, Éditions du Secours Populaire de France et des Colonies, Mouvement populaire « Paix et Liberté », sans compter les éditions de la CGT. L’autre grand opérateur fut le réseau créé en Europe par Willy Munzemberg, notamment les éditions du carrefour qui ont confectionné et publié en 1937 L’Espagne ensanglantée. Un livre noir sur l’Espagne, co-rédigé par Arthur Koestler et traduit en cinq langues, puis Le Testament Espagnol du même auteur, l’année suivante.

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Les premières brochures sur les Brigades internationales furent publiées entre décembre 1936 et février 1937, la première par la Jeunesse Communiste, sous la direction de Raymond Guyot (Vivre libre ou mourir en combattant. Les glorieux exploits de la jeunesse espagnole et de la colonne internationale. 48 pages), la suivante par l’organisation de masse Paix et Liberté, ex Amsterdam-Pleyel, signée par Léon Mabille (Cinq semaines avec le bataillon Henri Barbusse en Espagne. 32 pages) et la troisième par le Comité International d’Aide au Peuple Espagnol par Romano Cocchi dit Adami (Visite aux volontaires de la Liberté. Une délégation du CIAPE, sous la présidence du camarade Nolla, représentant du Front Populaire d’Espagne, a visité les fronts de la liberté et les Volontaires des Brigades Internationales. 47 pages). Ces trois premières brochures furent complétées par trois autres : l’une collective, du Comité International d’Aide au Peuple Espagnol (Quelques récits de nos combats. Écrits sur le front de Madrid par un « Collectif » de Volontaires internationaux de la Liberté. 110 pages), la deuxième d’André Heussler (Avec les héros de la Liberté. Espagne 1936-1937. 72 pages) puis la dernière par André Marty, fin 1937 (Volontaires d’Espagne. Douze mois sublimes. 68 pages).

À partir de l’automne 1937, la production documentaire promotionnelle fut presque intégralement prise en charge par les Brigades internationales elles-mêmes, via les Éditions du Commissariat des Brigades internationales (imprimerie Diana à Madrid). Celles-ci ont préparé et édité directement ou indirectement plus de trente ouvrages destinés à l’étranger : six ouvrages en français (4 en 1937, 2 en 1938), six en allemand (1938), six en anglais (1 en 1937, 3 en 1938, 1 en 1939), six en italien (3 en 1937, 3 en 1938), deux en tchécoslovaque (1938) et un en norvégien, en suédois, en yougoslave, en hongrois (1938). L’anniversaire des Brigades internationales, en octobre 1937, a justifié la publication de dizaines d’ouvrages consacrés à une brigade ou un bataillon national en particulier, en direction d’un public ciblé à l’étranger. De plus, 80 000 brochures destinées cette fois aux volontaires internationaux en Espagne furent imprimées en 1937.

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Un des auteurs les plus réguliers fut André Marty. Il était habitué à l’exercice, puisqu'il était déjà auteur de nombreuses brochures. Durant la guerre civile espagnole, il rédigea ou donna sa signature à cinq brochures directement consacrées à la guerre d’Espagne ou aux Brigades internationales, puis cinq autres entre 1939 et 1946. La brochure Douze mois sublime est un classique du genre mais également la première pierre du grand projet éditorial historique des Brigades internationales, qui ne vit finalement jamais le jour. Préparée fin 1937, la brochure Douze Mois Sublime parut début 1938, durant la bataille de Teruel. Sa confection et son organisation illustrent plusieurs aspects remarquables.

La brochure se divise en quatre parties : I La charte des BI, II Volontaires d’Espagne. Douze mois sublimes, III Au hasard… quelques faits de la vie des BI, IV Oui, les Républicains gagneront ! Il s’agit en fait d’un véritable patchwork de productions réemployées. Ainsi, la première partie avait déjà été publiée, sous le titre de « un discours d’André Marty aux premiers volontaires américains » en janvier 1937 et plusieurs fois réemployée dans diverses brochures. La seconde partie correspond à une série d’articles publiés par André Marty dans L’Humanité en octobre 1937. La troisième partie est un ensemble de récits piochés parmi l’immense banque de données créée par les Brigades internationales, la Section historique, justement chargée de rassembler récits et témoignages parmi les volontaires, dans le cadre du grand projet historique du Komintern sur ces dernières. Enfin, la quatrième partie est adaptée de la nouvelle ligne préparée par le Komintern et enseignée aux commissaires politiques. Les Brigades internationales ont changé, elles n’ont plus le même rôle en Espagne. Désormais, les Internationaux accompagnent et forment les combattants espagnols et constituent une élite distincte. C’est l’armée républicaine qui doit à présent être au centre des attentions et des célébrations, et non plus les étrangers des Brigades internationales. La seconde bataille de Teruel avait été présentée comme telle : comme la première victoire « intégralement espagnole ».

Pour le titre, André Marty s’est inspiré du célèbre poème de Victor Hugo Ô soldats de l'an deux !..., inclus dans le recueil Les Châtiments (1852), et plus précisemment de la première strophe du quatrième couplet : « La liberté sublime emplissait leurs pensées ». Un large extrait du poème figure d’ailleurs dans la brochure. Marty reprend ici l’artifice classique en 1937 de la transfiguration des volontaires des Brigades internationales en héritiers des volontaires de Grande Nation : « Tels étaient les soldats de l’An II de la grande Révolution française. Tels furent dans l’année qui s’achève les Volontaires de la liberté accourus de tous les pays du monde en Espagne républicaine. Il y a un an déjà ! ». Cette brochure destinée à un public français marque une rupture fondamental : les Brigades internationales appartiennent désormais au passé, la guerre d'Espagne doit être menée par les Espagnols eux-mêmes. Les volontaires doivent désormais former les conscrits républicains.

Ainsi, le discours sur la nature de la guerre d’Espagne demeure : comme la Première République française en 1792-94, l’Espagne est agressée par des puissances extérieures et ennemies, en l’occurrence l’Allemagne. Des patriotes étrangers se sont fratenellement joints aux combats en Espagne. Ainsi, André Marty invente une « Charte » des Brigades internationales, qui n’est en fait que la projection pour les Britanniques et les Américains des références à la Grande révolution utilisées pour les Français. Pour les Britanniques, les volontaires sont les héritiers des Chartistes, pour les Américains ils perpétuent les combats des Insurgents lors de la guerre d’Indépendance. Il s’agit dans tous les cas d’une entreprise de légitimation par l'inscription dans l'Histoire justifiant la présence d'étrangers solidaires et d’une stratégie discursive de réévaluation de la guerre civile en une guerre d’indépendance face à une agression extérieure.