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L’artillerie de papier : les journaux des Brigades internationales

André Marty et les Brigades internationales

L’artillerie de papier : les journaux des Brigades internationales

Texte d'Edouard Sill

 

Les Brigades internationales s’employèrent très rapidement à se doter d’une presse riche et prolixe, permettant à la fois l’autosuffisance et le contrôle des contenus politiques. Le premier journal parut en novembre 1936, Le Peuple en armes. Organe de la 11e Brigade Mobile (Brigade internationale), rédigé en français et en allemand. La plupart des formations combattantes, services et dépendances, disposaient de leur propre publication ; l’historienne espagnole Mirta Núñez Díaz-Balart, spécialiste de la presse républicaine durant la guerre civile, estime qu’il y eut environ 71 titres édités dans les Brigades internationales, dont 50 ont été conservés. Il ne s’agit probablement que d’un minimum. Les Brigades internationales, disposant de leur propre commissariat général, profitèrent largement de leur autonomie éditoriale.

Les journaux des Brigades internationales ont été élaborés selon deux modèles : la presse militante et les journaux de tranchées de la Grande Guerre. Le produit syncrétique devait également répondre à ces deux destinations, c’est-à-dire un support au contenu éminemment politique mais dont la forme s’adressait au combattant avant le militant. Durant la Première Guerre mondiale, l’influence de la presse des tranchées sur le moral des troupes avait été très vite reconnue par l’état-major français, qui avait donné instruction de laisser faire cet engouement pour l’écriture et la lecture, tout en surveillant et en usant du caviardage le cas échéant. C’est également ce principe qui fut choisi dans les Brigades internationales pour les journaux des échelons inférieurs (bataillons, batteries et services auxiliaires) en confiant aux commissaires politiques la responsabilité du contrôle et des directives de leur échelon.

 

Journaux

La profusion de journaux parmi les Brigades internationales fut un élément mis en valeur par la propagande, pour asséner la preuve que l’armée républicaine espagnole était une « armée consciente ». Ainsi, les volontaires devaient y trouver « l’aliment politique qui leur est nécessaire», à l’inverse des « armées bourgeoises » où « malgré le régime démocratique le soldat est tenu en marge de la vie politique et sociale du pays, ici nos prop[re]s journaux no[u]s informent sur toute la vie politique et militaire de la République espagnole en même temps qu’ils traduisent nos pensées et relatent nos faits », signalait l’organe des Brigades internationales Le Volontaire de la Liberté en juillet 1937.

De manière paradoxale de prime abord, l’attention immédiate portée à la presse eut pour premier objectif de supprimer la diffusion des journaux communistes. En effet, les rédactions initiales s’étaient constituées de manière spontanée et autodidacte au sein des unités combattantes et furent animées par des militants communistes. Cependant, ces derniers développèrent, par atavisme, un ton dogmatique en décalage profond avec la ligne qui présentait les Brigades internationales comme une émanation du Front populaire et non des communistes. Par ailleurs, Luigi Longo s’était alarmé du caractère contre-productif de la plupart des journaux de tranchées, qu’il jugeait truffés d’exercices littéraires ou théoriques, et peu au fait des problèmes concrets des combattants. Pour cette raison, Le Peuple en armes fut remplacé par une production officielle issue du Commissariat général des Brigades internationales, Le Volontaire de la Liberté. Organe des Brigades internationales, publié le 13 janvier 1937 en français et allemand, décliné en italien en mars puis en anglais, polonais et tchécoslovaque en mai 1937. Il fut complété par un journal théorique à parution irrégulière : le Bulletin d’Information des Brigades Internationales.

Tout en conservant l’illusion d’une presse variée, rédigée par les volontaires eux-mêmes, la production éditoriale fut en fait toujours davantage contrôlée et formatée par le Commissariat général des Brigades internationales. C’est en février 1937 que les dirigeants des Brigades internationales prirent la décision d’encourager la production de journaux parmi la troupe, impulsion dont le cadre communiste français Jean Chaintron dit Barthel fut chargé, accompagné notamment de la Roumaine Olga Bancic. En mai 1937, le service de presse des Brigades internationales employait ainsi à Albacete 26 personnes, dont 4 ou 5 femmes. À cette période, chaque journal avait un tirage d’environ 1000 à 3000 tirages par numéro, sauf Le volontaire de la Liberté dont les quatre éditions hebdomadaires atteignaient un total cumulé mensuel de 10 000 numéros. Au niveau supérieur (journaux de brigades, de divisions et de groupes d’artillerie), la confection était confiée à une équipe sélectionnée et entièrement contrôlée par le commissariat politique. Ils étaient imprimés par la petite coopérative ouvrière Imprenta Colectiva Torrent et surtout l'imprimerie Diana (toutes deux tenues par l’UGT madrilène). Les journaux des échelons inférieurs, puis de chacune des brigades à partir de novembre 1937, étaient élaborés et imprimés directement dans l’unité, au cyclostyle. Le journal La Marsellesa en constitue un exemple parfait.

Il s’agissait bien évidemment d’un medium interne de propagande et du principal support de l’encadrement des commissaires politiques dans l’unité de combat. Il n’était donc pas destiné à être diffusé à l’étranger, quoique certains volontaires envoyèrent à leur famille quelques exemplaires, preuve de leur satisfaction à propos de cette presse. La principale originalité des Brigades internationales dans l’histoire des formations militaires contemporaines fut incontestablement la surreprésentation des intellectuels en leur sein, phénomène renforcé par le fait qu’elles rassemblaient essentiellement des militants, habitués à la lecture des journaux. Les rédactions des journaux des Brigades internationales trouvèrent naturellement parmi eux les spécialistes et les plumes dont elles avaient besoin. Ce caractère explique la grande qualité et l’extraordinaire diversité des réalisations. Toute la presse, et les publications en général, furent progressivement revues en castillan ; la plupart des articles écrits dans une langue étrangère furent traduits en proportion avec l’augmentation des effectifs espagnols. Les publications intégralement en castillan se multiplièrent dès la fin de l’année 1937, et les journaux devinrent peu à peu bilingues. Le dernier bastion de résistance à l’hispanisation, The Volunteer for Liberty, connut son premier article en castillan en février 1938. Six mois plus tard, ils constituaient un tiers des colonnes du journal anglophone.

 

 

Journaux

Affiche de Bardasano

Journaux

Armée de militants, les Brigades internationales surent utiliser tous les supports traditionnels de la communication politique « civile », tels que les brochures et les tracts, aspects communs et connus de la plupart des volontaires étrangers dans leurs activités militantes ou syndicales. Entre mars et décembre 1937, les Brigades internationales imprimèrent 2 388 000 tracts. Les tirages se faisaient généralement en quatre langues et concernaient des discours de personnalités, des enseignements sur la situation politique et militaire, et des rappels basiques à l’hygiène ou à la discipline. En complément de la presse, et en prolongement de celle-ci, le principal support de diffusion de la propagande fut les panneaux d’expressions, dit journaux muraux, destinés à recevoir des productions littéraires, artistiques ou humoristiques des soldats. Chaque compagnie ou batterie, chaque tranchée ou cantonnement, devait disposer de son propre panneau et l’entretenir selon des directives déterminées par le commissariat et enseignées à l’école des commissaires. Le journal mural était un objet connu des volontaires puisque, auparavant, beaucoup d’usines et d’ateliers, de bourses du travail comme de syndicats, disposaient de panneaux du même usage. Les soldats étaient invités à participer en y apposant leurs réflexions ou bien les articles qu’ils avaient préférés, stimulés par les commissaires et délégués politiques. Néanmoins, si on se base sur les très nombreuses consignes de création de journaux muraux, il semble bien que leur présence et emploi furent plus sollicités que spontanés. Le commissaire politique de la compagnie était responsable du journal mural et son absence était considérée comme une faute grave.

Les volontaires furent en permanence invités à écrire dans les journaux et à y envoyer leurs productions les plus variées : poésies, dessins, billets d'humour. C’est sur ces supports que l’on retrouve la plus grande liberté de parole et les évocations les plus intimes des volontaires. Les journaux furent emplis de poèmes, chansons et petites bandes dessinées traitant de la vie quotidienne et du moral des troupes, se moquant de la non-intervention ou des « fascistes », et dénonçant les ravages de l’alcool, la nostalgie du foyer ou l’incompréhension entre nationalités. La photographie est très présente, occupant parfois jusqu’à un tiers de la surface des journaux. Il y eut plusieurs concours de poésies dont la presse diffusa quelques morceaux choisis ; chorales et orchestres étaient annoncés, tout comme les matchs de football entre les bataillons, certains journaux soutenant évidemment « leurs » champions. Enfin, les superbes affiches célébrant les Brigades internationales, principalement œuvres des artistes espagnols et catalans Bardasano, Peinadot, Parrila (ou Parilla), ont été régulièrement intégrées dans les différents journaux des Brigades internationales.