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Ecriture des camps : journaux et dessins

André Marty et les Brigades internationales

Les journaux réalisés par les vétérans dans les camps d’internements

Texte d'Edouard Sill

 

L’internement en France des vétérans étrangers revenus d’Espagne en 1939 a paradoxalement perpétué, plutôt que reconstitué, l’organisation politico-militaire kominternienne des Brigades internationales durant la guerre civile. Les raisons de cette étonnante persistance furent circonstancielles et non le résultat d’une intention délibérée du Komintern ou du PCF : ces derniers, n’ayant évidemment pas prévu l’internement des vétérans en France, n’ont jamais été en capacité de pouvoir agir sur les formes de celui-ci.

Toutefois, après leur retrait du front, début octobre 1938, et la dissolution des Brigades internationales, les vétérans étrangers avaient été maintenus intentionnellement dans un encadrement politico-militaire très ferme : les cinq camps de démobilisation des étrangers de Catalogne, tous placés sous la tutelle de la commission des cadres étrangers du Comité Central du Parti Communiste Espagnol, composée des dirigeants des ex-brigades internationales. Pour les vétérans qui attendaient leur retrait effectif d’Espagne, le cadre n’avait donc pas changé et les discours élaborés à leur propos les maintenaient dans le sentiment d’une continuité. La reprise du combat, en janvier 1939, sous la forme de trois pseudo-brigades internationales et la sortie en ordre d’Espagne, en février, paracheva la persistance d’une cohésion communautaire.

Les conditions d’internement déterminées par les autorités militaires françaises ont ensuite définitivement cimenté cette persistance, alors même que plusieurs indicateurs avaient révélé une évidente déliquescence de la discipline politique et militaire chez les vétérans, à des degrés divers, durant leur séjour dans les camps de démobilisation en Catalogne. Le système choisi par la France procéda par la concentration des étrangers non espagnols, la militarisation des internés et l’instauration d’une discipline militaire reposant sur des référents choisis par les internés eux-mêmes. Malgré l'absence de quelques cadres communistes importants, détenus plutôt qu’internés au château Collioure, le système d’internement adopté par l’armée française se révéla particulièrement propice au maintien du contrôle communiste sur les vétérans. Les vétérans internationaux des camps d’Argelès puis de Gurs retrouvèrent en ces lieux une structuration familière, reproduisant fortuitement l’ossature triple des Brigades internationales, soit un encadrement militaire, national et politique. Les structures communistes développées en Espagne furent immédiatement reproduites et organisèrent la vie des internés.

Un effort considérable fut porté dans les camps de démobilisation en Espagne puis dans les camps d’internement en France pour maintenir un puissant esprit de corps. La vivacité de l’action politique dans les camps et l’extraordinaire activité culturelle créèrent un facteur de cohésion identitaire, atténuant la désespérance et assurant le maintien d’une communauté solide et légitime, non sans une constante épuration politique et la relégation des exclus. Les préceptes espagnols de l’activisme et la campagne de « capacitation » furent réintroduits à Gurs, favorisant une émulsion créatrice et éducative, et une exacerbation des nationalités dans la continuité de la ligne politique kominternienne de «front populaire des peuples » définie en 1937- 1938 et dont les vétérans constituaient la quintessence.

Les activités culturelles et politiques, mais également festives et sportives, ont rythmé et rempli le temps vide d’une détention inattendue et incongrue, devenue rapidement désespérante et hostile. Des dizaines de cours et de leçons furent organisés : des cours de langue naturellement mais également une instruction classique pluridisciplinaire et des cours variés de techniques. L’université populaire mise en place par les Autrichiens fut particulièrement productive et a laissé de belles archives. Des concerts, des chorales des lotos et des tournois d’échecs, de football et de volleyball furent régulièrement tenus. Enfin, la célébration d’évènements différents a associé l’ensemble du camp de Gurs dans l’organisation de très grandes cérémonies (défilés, concours sportifs, concerts, préparation d’œuvres artistiques, etc.) parmi lesquelles le 150ème anniversaire de la Révolution française, le 14 juillet 1939, les différents anniversaires espagnols, le 23ème anniversaire de la révolution d'octobre (7 novembre 1939).

S’il est un domaine dont cette armée d’intellectuels-combattants internée s’est emparé avec le plus d’abnégation, de créativité et de savoir-faire, il s’agit bien de la presse. Dans les archives des Brigades internationales, on relève une quinzaine de titres de journaux publiés dans les camps, à Argelès puis à Gurs. Tous sont l’expression d’un groupe national en particulier, à l’exception du journal de l’équipe médical du camp d’Argelès La voz de la Sanidad del campo internacional. Soulignons que les autorités militaires avaient immédiatement interdit l’introduction de la plupart des titres lus par les internés, y compris L’Humanité, Le Trait d’Union, le bulletin de liaison avec les camps créé par l’AVER, ou La Défense, journal du Secours Populaire Français. Il fallait donc produire sur place des supports d’information, de formation et de distraction. La considérable production éditoriale des Brigades internationales en Espagne trouva dans les camps une véritable renaissance, encouragée par le Parti communiste et reçut, paradoxalement, l’aval des autorités françaises du camp. Les réseaux extérieurs aux camps se chargèrent d’introduire le matériel nécessaire et de diffuser à l’extérieur du camp certaines œuvres destinées à attirer l’attention de l’opinion publique à leur propos. Preuve de l’engouement des internés, un Congrès des correspondants de presse du camp eut lieu en mai 1939. Les réalisations éditoriales furent de deux types, une production régulière et une production exceptionnelle, qui fut généralement une contribution collective d’un groupe à un évènement et avec de ce fait une attention artistique plus forte. La majeure partie des productions conservées dans le fonds André Marty du CHS appartient au premier ensemble. Il s’agit d’œuvres originales et uniques, la plupart de ces productions graphiques à la main ayant disparu ou été dispersées dans des collections privées.

Bibliographie complémentaire

LAHARIE (Claude), Gurs : l’art derrière les barbelés : 1939-1944, Biarritz, Atlantica, 2008. 168 pages.

TSOU (Hwei-Ru) et TSOU (Len), Los brigadistas chinos en la guerra civil. La llamada de España (1936-1939), Madrid, Los Libros De La Catarata, 2013 [2001]. 352 pages.

Le très riche site de l’Amicale du camp de Gurs propose un très grand nombre d’informations et de précision sur le séjour des Internationaux dont de nombreuses pages consacrées à la vie artistique et culturelle. http://www.campgurs.com/